Cadeaux royaux
Il est de tradition que les chefs d’Etat échangent
des présents à l’occasion des visites qu’ils se rendent mutuellement. La nature
et la valeur du cadeau varient selon le pays, la culture et les mœurs. Il est
des pays, aujourd’hui, qui déclinent les présents dont la valeur dépasse un
montant déterminé. D’autres font obligation de remettre le cadeau au musée de
la présidence.
De tout temps, les souverains
marocains ont eu l’habitude d’offrir à leurs homologues des cadeaux qui peuvent
être somptueux.
Ainsi, en 1888, le sultan Hassan Ier a fait remettre par Mohamed Torrès au Pape Léon XIII, à l’occasion de son jubilé
sacerdotal, de riches cadeaux :
« deux splendides bracelets d’or, enrichis de rubis, d’émeraudes et de
diamants ; une grosse broche en or, avec des pierres précieuses ; quatorze
coussins de velours, bordés d’or ; huit tapis marocains ; plusieurs vêtements
de diverses couleurs ; six ceintures de dame, tissées de soie et d’or ; six
paires de babouches ; enfin un certain nombre de pièces d’étoffes d’or ou de
soie ».
Plus près de nous, en 1943, à l’occasion de la Conférence d’Anfa, le
sultan Sidi Mohamed ben Youssef a offert au président des Etats-Unis d’Amérique,
Franklin Delano Roosevelt, deux bracelets et un haut diadème d'or pour madame Roosevelt.
Jusqu’à la moitié
du XIXème siècle, le sultan offrait également des chevaux ou des animaux
sauvages, qui étaient encore nombreux au Maroc. Le transport était assuré par
des bateaux, marocains ou étrangers.
En 1637, le sultan Mohamed ech-Cheikh Sghir envoya à Charles II d’Angleterre, avec le Caïd Jawdar
Ben Abdallah, quatre faucons et quatre
chevaux avec leurs selles ainsi que dix-huit anciens captifs anglais, libérés gracieusement
par le sultan.
En 1865, Napoléon III reçut du sultan Sidi Mohammed
Ben Abderrahmane six chevaux, une panthère, une antilope et des gazelles.
C’était une autre histoire lorsque les animaux offerts aux souverains
européens étaient remis aux légations (ambassades) étrangères à Tanger. Les
représentants étrangers étaient confrontés à des situations particulièrement
embarrassantes lorsqu’ils recevaient des fauves qu’ils devaient expédier dans
leur pays. En attendant de pouvoir les mettre à bord d’un bateau de passage à
Tanger, il fallait les nourrir et les soigner mais le plus difficile était de
trouver un endroit où les garder sans risques. Parfois, tout se passait bien,
comme ce fut le cas pour « Maymoun », un léopard « aussi
grand qu’un tigre du Bengale », cadeau de Moulay Abderrahmane ben Hicham au roi d'Angleterre.
Moins heureux fut l’épisode auquel fut confronté le consul des Etats-Unis
à Tanger et qui fut à l’origine d’une insubordination probablement unique
dans les annales diplomatiques.
En
1833, le consul des Etats-Unis à Tanger, James R. Leib, reçut du sultan un lion et
deux chevaux comme cadeaux offerts aux Etats-Unis. Il suggéra à Washington de
garder les chevaux et d’expédier le lion aux Etats-Unis, mais le Département
d’Etat lui répondit de se débarrasser du lion et d’envoyer les chevaux. La
nourriture du lion coûtait au consul un dollar par jour. Il ne pouvait pas le
vendre, de peur d’offenser le sultan, et la réponse de Washington tardait. En
1835, il avait dépensé $439,50 pour nourrir le fauve, avec un salaire annuel de
seulement $2000 dollars. C’est alors qu’il reçut l’ordre de se rendre à Fès,
pour négocier le renouvellement du Traité d’amitié entre le Maroc et les
Etats-Unis d’Amérique signé en 1786. Il refusa, de crainte de « recevoir
de nouvelles marques d’estime du sultan pour les Etats-Unis, qui s’avéreraient
pareillement coûteuses pour lui ».
Leib envoya à
Meknès son vice-consul, John F. Mullowny, qui ne rapporta pas de
cadeaux, mais négocia avec le Makhzen le nouveau traité, qui fut signé le 16
septembre 1836 (Le traité est toujours en vigueur.).
Leib vendit
le lion et les deux chevaux à son compatriote, le célèbre capitaine James
Riley, qui avait été capturé et vendu comme esclave après le naufrage de son
bateau en 1815 près de Cap Bojador. A
New York, les animaux furent confisqués au motif qu’ils étaient
propriété de l’administration et ne pouvaient être vendus par le consul.
L’affaire finit, en janvier 1834, sur la
table du Congrès sous forme d’une proposition de résolution visant à céder les
animaux. Différentes options furent envisagées, allant de la donation à une
institution de bienfaisance, ou à un musée, à leur vente aux enchères. Un
sénateur facétieux proposa même d’en faire cadeau au roi Louis-Philipe de France. Après plusieurs
séances de débats et une navette du projet entre la commission de l’agriculture
et celle des affaires étrangères, le texte fut finalement adopté par les deux
chambres en janvier 1835, autorisant le président à faire vendre aux enchères
les deux chevaux et à offrir le lion à « toute institution, personne ou
personnes appropriées de son choix ».
Leib quant à lui, après trois
ans à Tanger, s’adonna à la boisson et
devint sujet à des crises de delirium tremens. Les autorités marocaines le
confinèrent au bâtiment du consulat, sous bonne garde. Il perdit la raison.
Il arrivait
aux sultans de se voir aussi offrir des animaux.
La reine Victoria d’Angleterre offrit un
éléphant à Moulay Hassan. L’animal, appelé Stoke, arriva au port de
Tanger en août 1895, en provenance de Gibraltar. L'éléphant était blanc et pesait 4 tonnes. Il était
accompagné d’un mahout indien (cornac) et d’un officier, le captaine Inglefield, chargé de remettre le cadeau royal au sultan. En l’absence
de port, le débarquement en rade de Tanger fut mouvementé, l’animal faillit
se noyer et entraîner avec lui ceux qui essayaient de le sortir du bateau.
Le caïd Harry Maclean, instructeur des troupes du sultan,
se joignit à son compatriote pour escorter l'éléphant jusqu’à Meknès. Après d'incroyables péripéties tout au long des pistes et des sentiers
étroits, ils arrivèrent enfin à destination. Le capitaine Inglefield présenta Stoke
au sultan au cours d’une grande cérémonie, Maclean faisant office d'interprète.
On raconte que jamais le sultan n’avait autant ri et d’aussi bon
cœur.
Les
habitants de Fès prirent l’habitude d’aller admirer l’animal tous les
vendredis, à l'heure de la prière, lorsque le sultan se rendait à la mosquée,
suivi de l'éléphant, flanqué de chaque côté des dignitaires du Makhzen. « Stoke
cheminait majestueusement, le front peint en vert et violet, suivi de sa suite
personnelle, deux coolies indiens à cheval et dix domestiques attachés
exclusivement à l’animal, tous portant des vestes vertes. Puis venaient six
chevaux de l'écurie privée du Sultan ». Plusieurs personnes
furent piétinées, non par la bête, mais par la foule se bousculant pour voir l’éléphant
dans les rues étroites qui mènent à Moulay Driss.
Plus tard, cependant, des émeutes éclatèrent à Fès où les commerçants trouvaient trop lourdes les taxes levées pour l’alimentation du pachyderme.
Plus tard, cependant, des émeutes éclatèrent à Fès où les commerçants trouvaient trop lourdes les taxes levées pour l’alimentation du pachyderme.
Stoke finit par succomber à une
maladie inconnue et son cornac, « venu à grands frais des Indes,
enchanté d’un trépas qui le libérait, s’empressa de regagner le pays des Rajahs ».
Une autre
histoire d’éléphant a défrayé la chronique au début des années 20 du siècle
dernier.
Le sultan Moulay Abdelhafid,
après son abdication, s’est retiré à Tanger. Un jour de 1912, tandis qu’on transportait
de Fès à Larache les derniers animaux de la ménagerie du sultan, une éléphante
et son éléphanteau se sauvèrent et se dirigèrent vers Tanger, guidés par l’instinct
animal. Les pachydermes firent une entrée triomphale à Tanger, suivis à distance
par une foule hurlante. Ils finirent à la Kasbah.
Le lendemain et les jours
suivants, l’éléphante prit l’habitude de se rendre à la mer pour le bain
quotidien. Elle traversait les rues étroites de la médina, semant l’effroi sur
son passage.
Au grand Souk, elle s’emparait d’un
coup de trompe de choux ou de salades qu’elle avalait.
Ce manège dura plusieurs mois,
au grand dam des Tangérois.
Lorsqu’éclata la guerre mondiale,
l’ex-sultan quitta Tanger pour s’installer à Barcelone. En guise de témoignage
de sa reconnaissance à la ville, il lui offrit l’éléphante. L’histoire ne dit
pas ce qu’il advint de l’éléphanteau.
L’origine du
dicton dont une traduction approximative serait « Ils ont trouvé qu’un éléphant
n’était pas assez, on leur a ajouté une éléphante » reste inconnue. Abdelhadi
Tazi, dans son Histoire diplomatique du Maroc, tome II, 1986, donne
l’explication ci-après:
Il pourrait s’agir
de l’éléphant qui a été amené du Soudan au sultan saadien Ahmed El Mansour Ed-Dehbi
en l'an 1001 de l’hégire (1592). En 1599, l'éléphant fut conduit à Fès.
La légende dit
que la population, excédée, aurait mandaté une délégation pour demander au
sultan de les débarrasser de l’éléphant. Mais, avant même qu’ils ne présentent
leur requête, le sultan leur a montré son attachement à l’animal en des termes
tels que, lorsqu’il les interrogea sur le motif de leur démarche, ils n’osèrent
pas lui dire la vérité et restèrent silencieux. Le sultan se fit insistant, et,
finalement, un des notables arriva à prononcer le mot « éléphant ». Le
sultan s’écria alors : « L’éléphant ? Qu’est-ce qu’il a, l’éléphant ? ».
Terrorisés, ils répondirent : « Il lui faut une campagne, sire, il ne
peut pas rester tout seul ».
La mémoire populaire, qui a des repères bien à elle, garde
le souvenir de « l'année de l'éléphant» (âam-el-fil).
Mais lequel ?
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Références
- Nozhet-Elhâdi, Histoire de la dynastie saadienne au Maroc (1511-1670)- Mohammed Esseghir Ben Elhadj Ben Abdallah El Oufrani, Traduction française par O. Houdas, Paris, Ernest Leroux, Éditeur,1889.
- Morocco as it is, Stephen Bonsal, 1893.
- Chronique de la vie de Moulay-Hassan, L. Coufourier, Archives marocaines, 1906
- France-Maroc n° 54, mai 1921.