lundi 9 août 2021

Israël-Union africaine : Alger ouvre la boîte de Pandore

Le 22 juillet 2021, le président de la commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a reçu à Addis-Abeba les lettres d'accréditation du représentant d'Israël, admettant ainsi cet Etat comme observateur auprès de l'Union. Dans un communiqué émis le lendemain, Faki a indiqué avoir réaffirmé à l’ambassadeur qu'aussi bien l’OUA que l’UA ont toujours plaidé pour la solution à deux États en Palestine.

Aussitôt, le ministère algérien des affaires étrangères a tenté de minimiser la portée de cette décision, « prise sans le bénéfice de larges consultations préalables avec tous les Etats membres ». Le ministre, Ramtane Laamamra, a entrepris une campagne pour obtenir l'annulation de cette accréditation. Mais il n’a pu rallier à son initiative que six pays : Djibouti, Egypte, Libye, Mauritanie, Tunisie, Union des Comores.  

Les ambassadeurs Représentants permanents des sept pays ont adressé à la commission de l'UA, le 3.8.2021, une note verbale dans laquelle ils ont exprimé leur « refus de la décision du président de la commission dans une question politique et sensible » sur laquelle « l'UA a émis au plus haut niveau et depuis longtemps des décisions claires exprimant son attitude constante de soutien à la cause palestinienne ».

Les sept chefs de mission ont « déploré que le président de la commission n'ait pas considéré la demande israélienne comme l'ont fait avant lui ses prédécesseurs[1] », en conformité avec la charte de l'UA, les décisions des différents organes de l'organisation, les intérêts supérieurs de l'Union, les avis et les préoccupations des Etats membres ainsi que les critères pour l'attribution du statut d'observateur et l'accréditation auprès de l'UA. Ils ont estimé que le président avait outrepassé ses prérogatives à la fois sur les plans politique et de la procédure. 

Les auteurs de la démarche déclarent s'opposer officiellement à l'accréditation du représentant d'Israël et demandent au président de la commission d'inscrire cette question à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil exécutif (conseil des ministres) de l'UA.

La note précise que les représentants de la Jordanie, du Koweït, de Qatar, de la Palestine, du Yémen et de la Ligue arabe, observateurs auprès de l’UE, étaient solidaires de cette démarche.

Le Conseil exécutif, dont la prochaine réunion ordinaire aura lieu normalement en janvier 2022, sera sans doute saisi de cette question. Il aura à déterminer si le président de la commission, en acceptant la demande d’accréditation d’Israël, a manqué de discernement.

Les critères qui doivent être pris en compte pour l’admission des Etats non africains comme observateurs, et qui ont été définis en 2005 par le Conseil exécutif lors d’une réunion à Syrte (Libye), sont au nombre de deux (EX.CL/195(VII) Annexe IV) :

1. Les buts et objectifs des Etats concernés doivent être conformes avec l’esprit, les objectifs et les principes de l’Acte constitutif de l’Union africaine.

2. L’Etat doit entreprendre de coopérer avec l’Union africaine, de soutenir son travail, et de favoriser la connaissance de ses principes et de ses activités.

Le même document détermine le processus d’accréditation :  

·         L’Etat non-africain qui souhaite être accréditée auprès de l’UA doit adresser sa demande au Président de la Commission de l’UA.

·         Le Président examine ladite demande en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’Union ainsi que les points de vue et préoccupations connues des Etats membres, ainsi que sur la base des principes et objectifs de l’Acte Constitutif, des décisions pertinentes des organes de l’UA et des critères cités plus haut.

·         Si, de son avis motivé, il n’existe aucune raison de ne pas accepter la demande, le Président accepte la lettre d’accréditation du Chef de mission ou du représentant de l’Etat concerné.

·         Il doit ensuite avertir périodiquement les organes de politique du nom et de la désignation du représentant accrédité.

·         Dans le cas où un Etat membre émet une objection à l’accréditation d’un Etat non-africain ou d’une Organisation internationale, le Président soumet la question à la prochaine session du Conseil exécutif.

Jusqu’en 1967, Israël a eu des relations étroites avec plusieurs pays africains avant que la plupart ne rompent avec Tel Aviv, suite à une résolution de l'OUA. Les relations qu’entretenait Israël avec le régime sud-africain raciste avaient terni son image. L’Etat hébreu a cependant bénéficié du statut d’observateur à l’OUA jusqu’en 2002, année où Israël n’a pas été (ré)admis à l’UA, principalement en raison de l’attitude du libyen Mouammar Gadhafi. Depuis lors, la diplomatie israélienne n’a eu de cesse de réintégrer l’organisation africaine.

Les échanges commerciaux et la coopération se sont poursuivis avec nombre de pays africains, en particulier avec l’Afrique du Sud (diamants). Aujourd’hui, s’il n’y a que 13 missions diplomatiques israéliennes résidentes en Afrique et 14 représentations africaines à Tel Aviv[2], Israël entretient des relations diplomatiques avec 46 pays africains. L’Etat hébreu est présent en Afrique dans les secteurs technologiques de pointe, dans la sécurité et la vente d’armes.

La reprise des relations diplomatie entre le Maroc et Israël n’est pas étrangère à l’activisme algérien dans cette question. Les autorités algériennes ont fait appel à Ramtane Laamamra, qui a déjà exercé les fonctions de ministre des affaires étrangères, dans le but de reprendre la main et tenter de retrouver l’éclat de la diplomatie algérienne d'autrefois. Laamamra s'y emploie avec frénésie.

Mais, sur la question de la présence d’Israël à l’UA, tout donne à croire qu’il s’est engagé sur un terrain glissant. De par notamment son expérience des arcanes de l’UA, où il a servi en qualité de Commissaire à la paix et la sécurité pendant 5 ans (2008-2013), il ne peut pas ignorer la difficulté qu’il aura à rallier les pays africains à sa thèse. Comme le dit l’adage populaire, « la guerre que tu n’es pas sûr de gagner, ne la commence pas ». Or, l’entreprise semble d’ores et déjà mal engagée, dès lors que seuls sept pays sur 54 l’ont endossée. Ces sept pays sont tous arabes, mais tous les pays arabes n’ont pas répondu à l’appel. Outre le Maroc, le Soudan et la Somalie font défaut, de même que les pays subsahariens à forte communauté musulmane.

La grande absente est l’Afrique du sud qui, bien qu’elle ait dénoncé en des termes vifs la décision du président de la commission de l’UA, ne s’est pas jointe à l’initiative algérienne.

Notons, à titre de curiosité, l’absence de la pseudo « rasd », que la diplomatie algérienne présente comme étant un « membre fondateur » de l’UA, mais qui, pour le coup, s’est faite discrète. Alger a vraisemblablement jugé préférable, dans une question aussi sérieuse, de ne pas associer à sa démarche une entité manquant totalement de crédibilité. Preuve s’il en est qu’Alger en use comme d’un joker qu’il sait sortir dans les circonstances appropriées, mais qu’il cache soigneusement lorsque ses intérêts le lui commandent. Il n’est pas, non plus, à exclure, que les six ambassadeurs qui se sont joints à la démarche algérienne, et dont les pays ne reconnaissent pas la « république », aient refusé de voir celle-ci associée à leur initiative.

L’« expulsion » d’Israël est en effet une question pleine de risques pour la cohésion et l’unité africaines. L’UA a certes exprimé à plusieurs reprises sa solidarité et son soutien au peuple palestinien, mais Israël peut compter sur ses nombreux amis en Afrique. Dit autrement, l’UA peut être considérée comme favorable à la cause palestinienne, mais les Etats africains, pris individuellement, ont des positions plus nuancées.

Le Conseil exécutif prend ses décisions par consensus ou à défaut, à la majorité des deux tiers des États membres. Il semble exclu qu’un consensus puisse se dégager au sein du Conseil exécutif et l’on devra procéder au vote, non sans un débat dans lequel il y a tout lieu de penser que les échanges seront vifs.  

C’est dire que cette question est de nature à créer, ou accentuer, une nouvelle fracture au sein de l’UA.

Voilà le résultat le plus probable de la démarche algérienne, et ce n’est pas le moindre des paradoxes d’une diplomatie qui se veut unioniste.

Ce n’est pas la première fois que la diplomatie algérienne ouvre la boite de Pandore.

En 1981 à Freetown (Liberia) l’Afrique s’est profondément divisée par suite de l’insistance d’Alger à vouloir imposer la « rasd ». Les débats, houleux, aboutirent à la fracture de l’Afrique en deux blocs antagonistes, 20 Etats d’un côté, 19 de l’autre.

Trente ans plus tard, le même scénario peut se répéter, à cause de l’aventurisme d’Alger. Le mot « expulsion », jusqu’ici tabou dans les couloirs de l’UA, a été prononcé. Tôt ou tard, les regards se tourneront vers « l’intrus » et son protecteur dont l'entêtement empoisonne les relations interafricaines depuis près d’un demi-siècle. Ce sera alors un juste retour des choses.



[1] Depuis 2005, les présidents de la commission de l’Union africaine ont été, successivement :

1.Alpha Oumar Konaré (Mali), 2003 - 2008                                           

2 Jean Ping (Gabon), 2008 -2012                 

3 Nkosazana Dlamini-Zuma (Afrique du sud), 2012 - 2017

La demande israélienne a été, semble-t-il, refusée en 2013, 2015 et 2016.

[2] Israël a 12 ambassades en Afrique (Afrique du sud, Angola, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Kenya, Nigeria, Rwanda, Sénégal) et un Bureau de Liaison (à Rabat).

14 pays africains sont représentés à Tel Aviv, dont 13 au niveau d’ambassade (Afrique du sud, Angola, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Kenya, Liberia, Nigeria, RDC) et un Bureau de Liaison (Maroc).