Quelques observations, ci-après, à propos de l'article intitulé "Lorsque Tanger était la capitale officieuse du Maroc", qui a été publié par le mensuel Zamane, dans le numéro 139 (juin 2022):
1. « Avant même son internationalisation officielle, Tanger a fait office de capitale diplomatique et de capitale tout court, quoique non déclarée, d'un royaume en pleine reconfiguration ».
- Qu’est-ce qu’une « capitale non déclarée » ? Tanger n’a jamais été la capitale de l’empire chérifien, ni officielle ni officieuse. Aucun sultan n’y a jamais résidé. La ville a été choisie comme lieu de résidence obligé des consulats dans le Nord du Maroc, puis comme siège des « légations ».
2. « Lorsque le sultan Sidi Mohammed III, à la fin du XVIIIème siècle, décide d’en faire une capitale officieuse, les légations étrangères n’ont d’autre choix que de s’installer dans la ville du détroit ».
- Sidi Mohamed ben Abdallah n’a pas décidé de faire de Tanger une « capitale officieuse ». Il a obligé les consulats, qui étaient jusqu’alors installés à Tétouan, à s’établir à Tanger. Il n’y avait pas de légation au Maroc à ce moment-là. En revanche, il y avait des consulats dans d’autres villes (Marrakech, Safi, Salé, Mogador, notamment)
3. « la présence des légations étrangères assure à la ville une certaine immunité diplomatique ; quelle puissance en théorie se hasarderait à s’emparer d’une cité aux ramifications internationales ? »
- Cette affirmation n’est étayée par aucun fait historique.
4. « Dès 1790, donc, les légations des principales puissances de l’Ouest fleurissent littéralement dans les ruelles de la médina ».
- L’auteur semble confondre « consulat » et « légation ». La première légation, celle de la France, s’est installée à Tanger en 1845. Le Royaume-Uni suivra en 1847 et l’Allemagne leur emboitera le pas en 1874.
5. « En un sens, qualifier son règne de «siècle des traités» ne serait pas une aberration. La plupart, sans surprise, seront ratifiés dans la ville du détroit ».
- Signés, pas ratifiés.
6. « De tous ces accords, deux traités vont sortir du lot ; celui de 1844 puis de 1856. Ce dernier est le traité commercial anglo-marocain, et dont la teneur est certainement plus pernicieuse que le traité politique de 1844 ».
- De quel traité de 1844 s’agit-il ? Est-ce le traité entre le Maroc et la France du 10 septembre 1844, dont la disposition principale obligeait le sultan à déclarer l’« émir » algérien Abdelkader hors-la-loi au Maroc ?
7. « Ce traité de 1856 va surtout créer un précédent en ouvrant une nouvelle boîte de Pandore, celle de la Convention de Madrid en 1880. Treize autres nations occidentales viendront rejoindre la Grande- Bretagne et la France dans la grande curée chérifienne. En passant de deux pays à treize autres nations, la clause de la nation la plus favorisée était un coup de massue dont l’Empire chérifien ne se relèvera plus. Toutes les nations occidentales appliqueront désormais la politique de la « porte ouverte », celle des capitulations ainsi que le régime des protégés ».
- Traité de 1856 : Le traité anglo-marocain du 9 décembre 1856 a violé la souveraineté du Maroc en accordant des privilèges exorbitants aux sujets britanniques. Il a octroyé une exonération fiscale aux interprètes et domestiques « parmi les musulmans ou autres » employés au service du chargé d’affaires britannique et des consuls ou vice-consuls.
- Traitement de la Nation la plus favorisée : ce droit, visé à la Convention de Madrid (19 mai-3 juillet 1880), ne concernait que la protection.
- Toutes les nations occidentales : Le droit au traitement de la Nation la plus favorisée a été reconnu uniquement aux pays qui étaient représentés à la Conférence de Madrid.
- Porte ouverte : Ce régime sera institué bien plus tard par l’Acte d’Algésiras.
8. « En fait, tout a été joué en 1906 à la conférence d’Algésiras. Cet accord n’était tout compte fait qu’un remake de la convention de Madrid en 1880 ».
- Parler de « remake » est inexact. La convention de Madrid concernait uniquement l'exercice du droit de protection au Maroc ; la conférence d’Algésiras (Janvier-avril 1906) portait sur les « réformes » devant être réalisées au Maroc et aboutit à la mise de son économie en coupe réglée.
9. « le sultan avait mis en place dar al-niaba, une sorte d’ambassade de l’intérieur ».
- Dar Niyaba n’était pas une « ambassade de l’intérieur » (concept inconnu). Elle est l’ancêtre du ministère des affaires étrangères. Le Naïb était l’interlocuteur des chefs de légation (les « ministres ») à Tanger. (Une explication des raisons qui ont poussé le Makhzen à reléguer les missions diplomatiques étrangères à Tanger, loin de Fès et Marrakech, aurait sans doute permis de mieux comprendre le statut de Dar Niyaba Essaida).
10. « Aidé par wazir al-bahr, le ministre de la Mer, autrement dit le chargé des affaires étrangères, [le naïb] reçoit toutes les délégations diplomatiques en préambule à l’audience du sultan dans la capitale impériale Fès ».
- Il n’y avait pas de ministre de la Mer au Maroc, en tout cas pas entre 1850 (date de la création de Dar Niyaba) et 1912.
- Le premier véritable ministre des affaires étrangères est Mohamed el Mfadel Gharrit, qui a été nommé en 1885 et qui résidait à Fès. Malgré tout, Dar Niyaba a été maintenue à Tanger jusqu’au protectorat. Les deux responsables avaient des attributions distinctes. On ne peut pas dire que le vizir « aidait » le naïb.