Nationalité marocaine et citoyenneté multiple
Théoriquement, la nationalité marocaine
peut se perdre. La loi (Dahir du 6
septembre 1958 portant code de la nationalité, BO n° 2394, 12 Septembre, 1958, pp.
1492-1496) prévoit la perte par renonciation et la déchéance.
La perte-déchéance
est une sanction. Elle ne concerne que les Marocains naturalisés.
La perte-renonciation, qui nous
intéresse dans cette réflexion, est quant à elle volontaire.
Elle se manifeste dans cinq cas : Acquisition
volontaire d’une nationalité étrangère, double nationalité, renonciation des
enfants âgés de 16 ans au moins lors de la naturalisation de leur auteur, cas
de la femme marocaine qui épouse un étranger, emploi dans un service public étranger.
1) Acquisition volontaire
d’une nationalité étrangère
Ce cas concerne les Marocains
d’origine. Plusieurs conditions doivent être réunies :
a) Il faut que l’acquisition de la nationalité étrangère
ait lieu à l’étranger ;
b) L’acquisition de la nationalité étrangère ne doit pas
être imposée, mais résulter d’un acte volontaire ;
c) Il faut que le Marocain naturalisé soit majeur (âgé de
21 ans au moins) ;
e) L’intéressé doit exprimer sa volonté de renoncer à la
nationalité marocaine et demander l’autorisation au ministère de la justice ;
f) Il doit être autorisé par décret à
renoncer à la nationalité marocaine
La perte de la nationalité étend ses
effets aux enfants mineurs, non mariés, de l’intéressé qui demeurent avec lui.
2) Double nationalité
Peut perdre sa nationalité marocaine la personne qui a
une nationalité étrangère d’origine. La
nationalité étrangère ne doit pas être acquise, mais résulter du lien jure
sanguinis ou jure soli, par voie paternelle ou maternelle. Il
peut s’agir d’un Marocain d'origine ou naturalisé.
L’intéressé doit souscrire un acte de renonciation et
être autorisé par décret à renoncer à la nationalité marocaine.
La perte de la nationalité étend ses
effets aux enfants mineurs, non mariés, de l’intéressé qui demeurent avec lui.
3) Cas de la femme marocaine qui épouse un étranger
La femme marocaine, qui épouse
valablement un étranger et qui, de ce fait, peut obtenir la nationalité de ce
dernier, peut perdre sa nationalité d’origine aux conditions suivantes:
a) La femme doit, avant son mariage,
souscrire une déclaration de renonciation adressée au ministre de la
justice ;b) Elle doit avoir été autorisée par décret à renoncer à sa nationalité marocaine ;
La perte de la nationalité prend effet
à compter de la conclusion du mariage.
N’est pas prévu
le cas de l’homme marocain obtenant une autre nationalité du fait de son
mariage avec une étrangère.
4) Emploi dans un service public étranger
Le Marocain, même d’origine, peut
perdre sa nationalité
-
s’il occupe un emploi dans un service public d’un Etat étranger ou dans une
armée étrangère. - s’il ne donne pas suite, dans un délai de six mois, à un ordre du gouvernement marocain lui enjoignant de résigner l’emploi.
La perte de la nationalité marocaine de
l’intéressé fait l’objet d’un décret.
La perte s’étend aux enfants mineurs
non mariés de l’intéressé, qui demeurent collectivement avec lui, si le
décret le prévoit expressément, donc, pour eux, pas de perte de plein droit
par communication.
5) Renonciation des enfants mineurs
La naturalisation marocaine ne s’étend pas de plein droit
aux enfants. L'acte de naturalisation peut cependant accorder la nationalité
marocaine aux enfants mineurs non mariés de l’étranger naturalisé.
Les enfants mineurs, âgés de 16 ans au moins au moment de
la naturalisation de leur père, ont la faculté de renoncer à la nationalité
marocaine.
Ils doivent, pour ce faire, renoncer à
la nationalité marocaine entre leur 18è et 21è année. Aucune autorisation
n’est nécessaire.
***
Avant 1958, il n’y avait pas de loi sur
la nationalité.
A la conférence
de Madrid de 1880, la question de la nationalité marocaine et de la naturalisation des Marocains fut l’objet
de débats intenses. Le souci principal du Makhzen était de mettre fin aux comportements
abusifs de certains naturalisés/ protégés qui, de retour au Maroc, sûrs de
l’impunité, défiaient ouvertement l’autorité.
Le gouvernement ne voulait pas soumettre la naturalisation des Marocains à
son autorisation préalable, mais seulement
que le Marocain revenu au Maroc se soumette à la juridiction locale.
Le délégué du Maroc à la
conférence, Mohamed Bargach, Naïb es-Soltane, justifiait en ces termes la
demande marocaine :
« Il ne faut point oublier combien diffèrent des citoyens européens ou
américains les sujets marocains. Le caractère et l'éducation de ces derniers
font qu'à l'abri des privilèges accordés par le Maroc aux étrangers, ils
abusent de leurs droits pour susciter des difficultés et donner occasion à des
troubles sérieux souvent et toujours nuisibles au prestige des Autorités
nationales. Que si l'on ne portait remède à cette situation par l'adoption de
mesures qui rendraient à la naturalisation son véritable caractère, -car il est
évident qu'aucune Nation ne l'accorde dans l'esprit de créer une difficulté au
Gouvernement d'une Puissance amie,- le Maroc, délivré des protégés irréguliers
grâce aux dispositions arrêtées par la Conférence, se verrait bientôt envahi
par des Marocains naturalisés, et le mal n'aurait disparu que pour prendre une
forme plus menaçante encore pour la paix de l'Empire.»
Aussi Bargach proposait-il à la
conférence l’article suivant : « Tout sujet
marocain naturalisé à l'étranger qui reviendra au Maroc, devra, après un temps
de séjour égal à celui qui lui aura été régulièrement nécessaire pour obtenir
la naturalisation, opter entre la renonciation à cette naturalisation et
l'obligation pour lui, et pour sa famille, de quitter le Maroc. Dans ce dernier
cas, le retour au Maroc ne lui sera plus permis, pas plus qu'à sa famille, à
moins de soumission entière à l'autorité du Sultan et aux lois du pays. […] Il
est entendu que si, pendant son séjour au Maroc, le Marocain naturalisé ou un
membre de sa famille venait à intervenir, directement ou indirectement, dans
les affaires du pays, à provoquer des troubles, à commettre une action
contraire aux lois, ou à manquer au respect dû aux autorités locales,
celles-ci s'en plaindront au Consul qui, dès lors et sans attendre l'expiration
du délai stipulé, expulsera immédiatement les délinquants du territoire
marocain.»
Pour finir, Bargach déclara que le
consentement que le sultan pourrait donner à la naturalisation d'un de ses
sujets ne le sera que sous forme de firman (dahir) chérifien.
La conférence, sans tenir compte de
toutes les demandes marocaines, adopta l'article 15:
«Tout sujet
marocain naturalisé à l'étranger, qui reviendra au Maroc, devra, après un temps
de séjour égal à celui qui lui aura été régulièrement nécessaire pour obtenir
la naturalisation, opter entre sa soumission entière aux lois de l'Empire et
l'obligation de quitter le Maroc, à moins qu’il ne soit constaté que la
naturalisation étrangère a été obtenue avec l'assentiment du Gouvernement
marocain.
« La
naturalisation étrangère acquise jusqu'à ce jour par des sujets marocains
suivant les règles établies par les lois de chaque pays, leur est maintenue,
pour tous ses effets, sans restriction aucune.»
Le
dahir de 1958 n’a pas interdit la naturalisation étrangère, mais ·
- Cette naturalisation n’est pas un motif de perte automatique de la nationalité marocaine et
- La naturalisation ne produit aucun effet juridique au Maroc à moins d’avoir été autorisée par décret publié au Bulletin officiel. A défaut, le Marocain bi- ou multinational reste, aux yeux de la loi marocaine, un ressortissant marocain.
La
loi n’exige pas, comme en 1880, des Marocains naturalisés de répudier leur
nationalité étrangère s’ils reviennent au Maroc pour y fixer leur résidence.
Cependant, si la possibilité de renoncer à la nationalité marocaine
existe en théorie, l’administration répugne à autoriser un tel acte. Dans la
pratique, un principe non écrit fait
obstacle à l’application de la loi. Le seul cas connu où l’autorisation
gouvernementale de renonciation à la nationalité marocaine a été accordée
concerne un Marocain né au Venezuela (Décret du 13 juillet 1961, publié au
Bulletin officiel du 4 août 1961, p.1104). Depuis lors, le ministère de la
Justice a fait marche arrière et ne répond plus aux demandes qui lui
parviennent.
Sauf meilleure information, aucun parmi
les Marocains tombant dans les cas prévus par la loi n’a été autorisé à
renoncer à sa nationalité d’origine (Marocain majeur qui a acquis volontairement à
l'étranger une nationalité étrangère ; Marocain, même mineur, ayant une
nationalité étrangère d'origine ; Marocain qui remplit une mission ou occupe un
emploi dans un service public d'un Etat étranger ou dans une armée étrangère).
Chaque année, de nombreux Marocains obtiennent une
nationalité étrangère. En 2018, ils ont été, à en croire l’institut Eurostat,
en tête des étrangers hors Union européenne ayant acquis une nationalité
européenne: 67 156 naturalisations (10% du total), dont 25 315 en Espagne.
La majorité des Marocains qui
demandent une nationalité étrangère le font pour s’affranchir du statut d’émigré
et s’assurer pour eux-mêmes et leur famille une sécurité juridique et des
bénéfices sociaux.
Les
administrations étrangères, compréhensives, n’exigent plus la preuve de la
perte de la nationalité marocaine, une copie de la demande de renonciation leur
suffit.
La renonciation à la nationalité
marocaine s’analyse comme une rupture du lien personnel qui lie chaque Marocain
à son Souverain, selon le principe de l’allégeance perpétuelle. Ce principe est en contradiction avec la Déclaration
universelle des droits de l’Homme (10 décembre
1948) dont l’article 15
dispose que « Nul ne
peut être arbitrairement privé … du droit de changer de nationalité ».
Auparavant, la convention de La Haye (12 avril
1930), à laquelle le Maroc n’a pas adhéré, avait énoncé que
- Il appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux (Article 1).
- Un État ne peut exercer sa protection diplomatique au profit d'un de ses nationaux à l'encontre d'un État dont celui-ci est aussi le national (Article 4).
- Tout individu possédant deux nationalités acquises sans manifestation de volonté de sa part pourra renoncer à l'une d'elles, avec l'autorisation de l'État à la nationalité duquel il entend renoncer (Article 6). C’est le cas des enfants nés à l’étranger de parents d’origine marocaine.
Cette autorisation, précise la convention, ne sera
pas refusée à l'individu qui a sa résidence habituelle et principale à
l'étranger.
La possession de deux ou plusieurs nationalités pose de nombreux problèmes. Un multinational est soumis aux lois des pays dont
il possède la nationalité. Cette allégeance multiple peut être source de conflits de lois.
Arrêt
Nottebohm
Dans l’arrêt Nottebohm (6
avril 1955), la Cour internationale de justice a fait du principe de l’effectivité un critère essentiel de la
nationalité.
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Quelle est la nationalité effective d’une personne
qui a sa résidence principale et permanente dans un pays dont elle a acquis
volontairement la nationalité, où elle exerce une activité dont elle tire ses
ressources et où elle a éventuellement fondé une famille ?
Longtemps, les pouvoirs publics ont semblé
considérer l’émigration marocaine comme un phénomène temporaire devant prendre
fin par un retour inéluctable à la mère patrie. Nos compatriotes sont tout
juste des « résidents à l’étranger », même si, entretemps, ils ont
demandé et obtenu une nationalité étrangère. A l’aéroport, on leur demande la Carte d’identité marocaine. Certains binationaux
considèrent qu’ils bénéficient de moins de droits que leurs compatriotes de souche, ou, en tout cas,
ne sont pas traités de la même manière. La presse européenne parle de
« discrimination » et de « citoyens
de seconde zone », comme on l’a vu à l’occasion du rapatriement des binationaux
qui sont restés confinés au Maroc à cause de la pandémie Covid 19. L’Etat
marocain refuse toute
protection diplomatique étrangère au profit d'un Marocain binational se
trouvant sur le sol marocain.
La
protection a fait des ravages au Maroc et a durablement marqué les esprits.
Cependant, cette pratique relève d’une ère
révolue et ceux parmi les binationaux qui ne respectent pas la loi au Maroc
sont désormais jugés par les tribunaux marocains. Le temps est venu de lancer
une réflexion sur une réforme de la législation dans un sens moins restrictif,
afin de préserver au mieux les intérêts des « binationaux » ou
« multinationaux », qui se voient empêtrés dans une double
contradiction :
·
- La double nationalité n’est pas interdite, mais la
nationalité étrangère ne produit aucun effet juridique au Maroc ;
·
- La perte de la nationalité marocaine est possible,
mais elle n’est pas autorisée.
Ne
serait-il pas plus judicieux et plus utile de chercher les voies et moyens permettant
d’établir une nouvelle relation avec la diaspora, en vue de bénéficier de cette
diversité qui fait la richesse de la société marocaine.
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Références
- Paul Decroux, Droit privé, tome 2, Droit international privé, Editions La Porte, Rabat, 1963.
- Delphine Perrin, Identité et transmission du lien national au Maghreb : étude comparée des codes de la nationalité.
- Convention de Madrid sur la protection au Maroc, 1880.
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