Tahar Benjelloun nous avait annoncé un livre « passionnant », un roman « remarquable à tous points de vue», qui promettait de « faire du bruit », surtout au Maroc. De quoi piquer la curiosité de tous les Marocains.
Il s'agit de « L'Historiographe du royaume », de Maël Renouard (Grasset), que je viens de refermer. C’est une fiction imaginée par l’auteur, qui, nous dit on, « connaît bien » l’histoire du Maroc, même s’il n'y a jamais mis les pieds. Il ne fait pas de doute qu’il s’est bien documenté sur le sujet, puisant aussi bien dans les livres d’histoire ancienne que dans des œuvres plus récentes, sans compter la presse et Internet.
Je le dis sans détours : J’ai été déçu. La montagne a accouché d’une souris, ou, comme disent les Espagnols «Mucho ruido y pocas nueces » (beaucoup de bruit et peu de noix). A aucun moment, je n’ai été captivé par l’histoire, décousue, de cet Abderrahmane Eljarib, un camarade de classe du prince Moulay Hassan et, plus tard, « historiographe du royaume ».
Mes attentes étaient peut-être excessives, ou alors le roman ne s’adresse pas aux Marocains. Tout récit comportant des erreurs factuelles et des invraisemblances est irrémédiablement décrédibilisé. Or, le roman de Renouard en fourmille :
- Dès la page 12, le ton est donné : Le jeune Abderrahmane, sélectionné pour étudier au Collège royal, arrive à la gare de Rabat. Il monte pour la première fois de sa vie dans une voiture, dont il apprendra plus tard « que c’était l’une des voitures qu’empruntaient les princesses ou les concubines favorites, pour se rendre dans la ville sans être vues ». Une voiture de princesse envoyée à un adolescent, tout futur élève du Collège royal qu’il soit, voilà qui est singulier. Comme si le palais royal manquait de voitures…
Ce n’est pas la seule invraisemblance :
-
Eljarib est nommé « gouverneur académique de Tarfaya et des territoires
légitimes ». Qu’est-ce qu’un «
gouverneur académique » ? Que sont les « territoires légitimes » ?
- Le « gouverneur » se rend en voiture à Tarfaya, conduisant lui-même une jeep sur près de 1000 kilomètres. La jeep porte les insignes de la garde royale, « un corps d’élite ancien parmi les forces armées », précise l'auteur ! Un gouverneur sans chauffeur et voyageant dans un véhicule militaire : Peu plausible.
- En cours de route, le gouverneur passe la nuit dans un hôtel miteux, dans une des chambres les plus inconfortables... Inimaginable.
- Le seul représentant officiel avec qui Ssi Abderrahmane aura affaire à Tarfaya est le directeur de l’école primaire, Abderrezak Hammoudi. Où sont passées les autorités locales ? Un condisciple du roi, envoyé par le Palais, qui n’est accueilli ni par le gouverneur de la province, ni par le chef de la sûreté, ni même par un caïd…
- Eljarib fait la connaissance d’un « vieil homme », auquel l’auteur donne le nom de Ibrahim Kattani. Au Maroc, on écrirait plutôt Brahim Kettani.
- Eljarib reste sept longues années à Tarfaya. Que nous raconte-t-il sur la ville ? Ses gens ? Quelle activité y a déployé le « gouverneur académique » ? Sept années pendant lesquelles il ne s'est rien passé. Ah si, dans ses moments de solitude, Eljarib y a conçu le projet extravagant d’une mer saharienne, dont il ne parlera finalement pas au roi…
- Avant de quitter Tarfaya, il laisse la jeep à Hammoudi, le directeur de l’école primaire, promu pour l’occasion explorateur des contrées sahariennes, « dès qu’elles seraient réunies au royaume, afin de repérer là-bas les sites les mieux faits pour recevoir des établissements d’enseignement supérieur ». Pas moins. Le ministre de l’enseignement et son délégué régional apprécieront.
- Nommé historiographe du Royaume, il est installé dans ses fonctions par le roi en personne au cours d’une cérémonie d’une « simplicité extrême » (sic !). Son prédécesseur et lui-même prononcent chacun un discours devant le roi (resic !), qui a «quelques mots chaleureux pour l’un et l’autre » (re-re-sic !). Trois erreurs dans le même paragraphe.
- A Rabat, Eljarib, haut fonctionnaire au Palais, part à la recherche d’un logement. Au Maroc cela ne se passe pas comme ça.
- Autre erreur : « Une part importante de [son] travail consiste à assister le roi dans la préparation de ses textes et discours ». Non, ce n'est pas le travail de l’historiographe, qui prend note du présent pour écrire l’histoire.
- M. Renouard commet une erreur : Dans tous les pays, le chef de l’Etat ne remet pas leurs lettres de créance aux ambassadeurs étrangers, mais les reçoit d’eux (p. 119).
- Page 121 : Un consul du Maroc à Tachkent ! Pourquoi diable le Maroc enverrait-il un consul en Ouzbékistan ? Confusion entre un ambassadeur et un consul?
- L’ambassadeur de France, à Skhirate, le 10 juillet 1971, s’écrie, en présence du roi et Oufkir, ce dernier en maillot de bain: « Quand le ministre de l’Intérieur est en slip, le roi est nu !» Téméraire ou stupide, le diplomate français ?
- Pendant les événements de Skhirate, le roi essaie de réconforter ses compagnons d’infortune. Il s’adresse à eux en les appelant « mes amis ». Ce n’est pas le langage des rois.
- Au total, l’auteur consacre 33 pages aux événements de Skhirate et de longs développements à l’attaque contre l’avion royal, en août 1972. On n’y apprend rien qu’on ne sache déjà. Seuls ajouts: un « olibrius » égaré au milieu des invités de marque et le geste courageux, mais totalement invraisemblable, d’Eljarib qui se fait passer pour le roi, pour le protéger.
- L’événement principal du roman est la préparation des festivités du trois-centième anniversaire du règne de Moulay Ismaël. Une telle commémoration est inimaginable au Maroc. C’est grotesque, mais M. Renouard y croit, ou fait mine d’y croire, jusqu’au moment où le roi décide de tout annuler. Tout ça pour ça. Dans l’intervalle, l’auteur aura eu l’occasion de disserter longuement sur Moulay Ismaïl, Louis XIV, la princesse de Conti, Abdallah ben Aïcha, Hadj Mohammed Témim et même les célébrations grandioses de Persépolis en Iran. La fiction cède trop souvent la place à la chronique historique pure et simple.
- Même l’histoire de la « Vallée heureuse », à Meknès, n’échappe pas à la sagacité de Renouard, qui a tenu également à éclairer le lecteur sur l’épisode des schistes bitumineux.
- Enfin, cerise sur le gâteau, il raconte comment le roi, désireux de voir son historiographe se marier, prend lui-même les choses en main et lui fait la surprise de le mettre en présence de « Morgiane », dans une mise en scène surréaliste.
Soit dit en passant, il n’y a pas de Morgiane au Maroc, Marjana à la rigueur…
Que dire de plus ?
Le récit, dont « la véracité est énorme et précise » (selon T. Benjelloun), est décevant. Ceux qui attendent des révélations en seront pour leurs frais. Renouard, dont on a annoncé qu'il « dit tout, sans complexe, sans censure », en réalité, ne dit rien, ni sur le métier de « gouverneur académique », ni sur celui d’historiographe, encore moins sur Feu le roi Hassan II. On chercherait en vain le «portrait sans concession » du défunt roi, la part étant faite des rumeurs malveillantes et des potins usés jusqu’à la corde glanés ça et là. Tout cela a déjà été écrit. Pour tout dire, c’est du réchauffé. Il y a des sources plus sérieuses et mieux documentées pour connaître le grand roi disparu.
Le roman est peut-être
bien écrit, je ne saurais dire, n’étant pas critique littéraire, je ne m’estime
pas qualifié pour en juger, mais son auteur aurait dû mieux se renseigner sur
le Maroc et sur les us et coutumes de ce pays.