dimanche 6 septembre 2020

Gardien de voitures, un « métier » qui n’en est pas un

 Extorsion ou mendicité ?

Ils font partie du paysage. Ils sont partout, ils surgissent et prolifèrent, tels les champignons après la pluie, dès qu'il y a quelques voitures garées. Disparus pendant le confinement, ils ont refait surface aux mêmes endroits.

C’est le seul cas connu où on doit payer pour un « service » qu’on n’a généralement pas sollicité, service, au demeurant, qui n’existe pas ou si peu. Paiement obligatoire sans contrepartie.

Les « prestataires » ? Les gardiens de voitures.

Qui sont ces gardiens ? Ont-ils l’autorisation d’exercer ce « métier » ? Dans quelle mesure leur responsabilité est elle engagée en cas de problème ?

 


Qui sont les gardiens de voitures ?

Ce sont des personnages qui, parfois, prétendent garder votre voiture malgré vous. Ils sont affublés d’une blouse bleue ou grise, ou d’un gilet multi poches, genre chasseur ou pêcheur, de plus en plus d’un gilet réfléchissant, souvent jaune, parfois orange. Aucune référence particulière n’est requise, seulement l’attirail professionnel du bon gardien : un gilet, un sifflet et, éventuellement, une sacoche, parfois un gourdin. Pour le reste, il faut du culot, une voix qui porte, des jambes agiles et, à l’occasion, une bonne dose d’agressivité.

Un touriste étranger a ironisé à bon compte sur les « gilets jaunes » marocains, une spécificité locale. La plupart du temps ce sont des hommes, mais il y a ça et là des femmes. Certains sont des pères de famille, des gens honnêtes, d’autres sont des marginaux ou des repris de justice. Il paraît que les diplômés sont de plus en plus nombreux. Il y a même, désormais, des enfants et des « personnes à mobilité réduite ». Certains arborent un badge, d'autres n'ont aucun signe distinctif.

Les gardiens autorisés et les autres

Dans cette corporation qui pratique un « non métier », il y a des vrais et des faux gardiens. Suprême absurdité d’une situation étrange car les « vrais » gardiens eux-mêmes n’ont pas de statut légal. Comment alors distinguer les uns des autres ?   

Il y a, d’un côté, les parkings gérés par la commune et, de l’autre, des personnes qui exercent le gardiennage sur la voie publique :

1-      pour la première catégorie, la procédure légale voudrait qu’un appel à manifestation d’intérêt soit lancé, suite auquel une enchère est organisée. L’autorisation est alors octroyée à la meilleure offre de prix.

2-      Pour la deuxième catégorie, il faut déposer une demande auprès des services communaux ou de l’arrondissement concerné. Certains, cependant, s’improvisent gardiens, sans autorisation ni permis. Il suffit de dégoter un bon secteur inexploré et de s’imposer par la force. Dans les zones bleues, aucune autorisation n’est attribuée, autrement dit tous les gardiens sont dans l’illégalité.

Redevance

Pour les zones de gardiennage délimitées par la commune le prix des licences varie entre 20.000 et 30.000 dirhams par an. Le « loyer », ou « taxe professionnelle pour parc de gardiennage » doit être versé à la commune.

Mais ceux qui « louent » l’espace public ne sont pas forcément ceux qui l’exploitent. Ces intermédiaires, qui ont parfois plusieurs licences, sous-louent l’espace à des gardiens contre paiement d’une redevance fixe. Derrière les gardiens, il y a généralement un particulier-rentier, locataire de l’espace, qui impose ses conditions aux gardiens, qui, à leur tour, dictent leurs tarifs.  Comme les meilleures réglementations sont souvent détournées, il n’est pas rare que le gardien ne remette pas spontanément à l’automobiliste un ticket de stationnement. Il vole de l’argent à son employeur. Si on lui réclame le ticket, il change de ton, devient suppliant ou agressif et se plaint que les 5 ou 10 dirhams qui sont indiqués sur le ticket ne sont pas pour lui et qu’il ne touche rien. Il oublie de dire que la commune lui verse un salaire, insuffisant peut-être, mais c’est là un autre débat.

Les gardiens « autorisés » doivent acquitter une redevance annuelle variable.

Il y a évidemment des zones plus juteuses que d'autres, en particulier dans le centre-ville. En été, les parkings près des plages sont  une aubaine. Les voitures immatriculées à l’étranger sont des cibles convoitées

Les gardiens de voitures fixent leur tarif  

Dans quelques villes, les autorités locales ont pris l’initiative de faire afficher les tarifs dans plusieurs parkings gérés par la commune. Mais les gardiens ne respectent pas cette réglementation et exigent plus.

Un badge permet en principe d’identifier le gardien « autorisé », mais, souvent il n’en porte pas.

Vrai ou faux gardien, avec ou sans badge, on ne sait jamais combien il faut donner. Le gardien exige parfois d’être payé plein tarif même si l’arrêt n’a duré que quelques minutes, et même si quelqu’un est resté dans le véhicule. Si le gardien n’est pas satisfait du montant, il le fait savoir, s’il est poli, en regardant fixement la (les) pièces de monnaie dans sa paume grande ouverte, dans une invitation éloquente. Il s’en trouve qui n’hésitent pas à protester, voire à insulter l’automobiliste. Outre les insultes, l’automobiliste récalcitrant expose son véhicule à la dégradation.

A chaque arrêt, même si c’est pour une course mineure, il faut donner son obole au gardien. En multipliant par le nombre d’arrêts/jour ou de stationnements, on arrive à des sommes non négligeables déboursées chaque jour pour rien.

Le gardien doit engranger le maximum de pièces pour payer son "loyer" et dégager de quoi vivre.

Menaces, agressivité, contrainte

Les accrochages entre automobilistes et gardiens sont courants.  Il n’est pas rare que des gardiens en viennent aux mains avec des automobilistes qui refusent de se plier à leur diktat. En août 2019, à Saïdia, un automobiliste est mort des blessures que lui a infligées un gardien à la suite d’un désaccord sur le tarif.

La plupart du temps, on paie, pour ne pas s’engager dans un débat réducteur et des discussions sans intérêt. Certes, on peut toujours porter plainte contre les gardiens, mais, par manque de temps ou d’envie, rares sont ceux qui déposent des réclamations, découragés par les formalités.

Dimension sociale

Certains font valoir, en défense des gardiens de voitures, que ce sont en majorité de braves gens qui n’ont pas trouvé d’autre gagne-pain. Comme les vendeurs à la sauvette. L’informel est ainsi un pis-aller, face à une situation de chômage endémique. Ces « chômeurs déguisés » sont donc tolérés pour éviter qu’ils ne tombent dans la délinquance ou la criminalité.

Il est des gardiens qui se rendent utiles, en faisant des courses ou en aidant à transporter des sacs, mais ce n’est pas une règle générale. Travail pénible et éprouvant, dans des conditions difficiles : chaleur, froid, pluie, pollution. Sans compter la mauvaise humeur ou l'agressivité de certains automobilistes. Le gardien doit parfois courir au milieu de la chaussée pour ne pas rater une voiture qui démarre, s’exposant au danger.

Admettons. Cependant, c’est le principe lui-même de cette « prestation » qui est en cause.

-          A quoi sert réellement ce gardien? Quelle est sa valeur ajoutée ? Quelle est la réalité de la prestation qu’il est censé fournir et pour laquelle il perçoit une rémunération ? Tout automobiliste est capable de trouver une place où garer sa voiture, quand il y en a, et d’effectuer les manœuvres qu’il faut, sans avoir besoin de quelqu’un dont la contribution, superflue, se limite à vous crier des consignes alors même que vous ne lui avez rien demandé.

-          Que gardent ces gardiens ? En principe, un véhicule garé dans le centre-ville ou dans une rue passante ne risque pas grand-chose, mises à part les déprédations et rayures de carrosserie, que le gardien de toute façon ne peut ni voir ni empêcher. Surtout quand il s’agit de femmes âgées, d’enfants ou d’handicapés. D’ailleurs, le gardien n'apparait le plus souvent que pour réclamer ses dirhams.

-          Dans quelle mesure les gardiens sont-ils responsables en cas de dommage ou de vandalisation d'un véhicule ? Il est évident qu'ils ne sont pas assurés, - contre quoi que ce soit d'ailleurs. Allez poursuivre un gardien en cas de vol ou de dégâts subis par votre voiture.

En réalité, outre la légalité de cette activité, c’est son utilité même qui est en question.

Réglementer un « non-travail »

Des sociétés concessionnaires ont fait installer des horodateurs. Mais les gardiens s’insurgent et veulent « défendre leurs droits » ( !). A Casablanca, ils ont constitué un bureau des « gardiens des trottoirs et des services publics » (sic) affilié à la Confédération démocratique du travail. Ils ont manifesté devant le siège de la préfecture d'Anfa pour réclamer le renouvellement de leurs autorisations, tout en s’élevant contre la prolifération des horodateurs qui ont, selon eux, « envahi (!) toutes les rues » et ne leur laissent plus la possibilité de « travailler ».

Zone bleue+gardien= On paie deux fois pour le même « service ». Réponse d'un gardien: « La machine (l’horodateur) ne surveille pas votre voiture » (Certes, mais la différence, c'est que le payement dans les zones bleues est obligatoire, sinon c'est l’amende). Les petits arrangements ne manquent pas, permettant au gardien de vous « exonérer » du paiement du ticket de stationnement réglementaire. Parfois, il vous demande de laisser la vitre côté conducteur légèrement baissée pour qu’il puisse glisser un ticket s’il voit arriver le contrôleur. Vous vous trouvez ainsi, malgré vous, embarqué dans des magouilles de bas niveau.

En définitive, ce business du gardiennage de voitures est très juteux. Il enrichit quelques rentiers, aux dépens de la grande majorité de la population qui se voit imposer une « taxe » sans contrepartie, payable sur le champ et sans discussion possible. Si ce n’est pas de l’extorsion, ça y ressemble fort. On peut aussi considérer ces paiements comme de l’aumône pure et simple, mais une aumône forcée accordée à des mendiants déguisés, qui imposent leurs tarifs.

Redevance indue, aumône forcée, extorsion.

Et ce sont les automobilistes qui sont pressurés. N’est-ce pas leur faire endosser une responsabilité qui ne devrait pas être la leur ?

Certains ont demandé la « réglementation » de cette « activité ». L’Etat, disent-ils, doit intervenir pour mettre de l’ordre dans un secteur où, aujourd’hui, prévaut la loi de la jungle.

L’Etat doit, non pas « réglementer » ce gardiennage, mais y mettre fin.

De la même manière qu’il faut éradiquer la mendicité, il faut faire cesser le gardiennage des voitures dans la rue, sous toutes ses formes.

L’Etat, quand il le veut, sait se faire obéir. Malgré la « dimension sociale » de la vente à la sauvette, la médina à Rabat a bien été libérée des vendeurs qui en avaient envahi les rues et les trottoirs.  

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