Rapport du Secrétaire général des Nations unies 2023
Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Antonio
Guterres, a-t-il commis ou est-il sur le point
de commettre un crime contre le Maroc ? Est-il partial dans la
question du Sahara marocain ? Son dernier rapport (S/2023/729 - 3 octobre
2023) est-il plein de pièges et totalement en défaveur du Maroc ?
Toutes ces affirmations et bien d’autres ont été récemment prononcées sur des
supports vidéo et écrites sur des sites électroniques (dont Belpresse) par Me Sabri Louh, qui s’étonne que personne
avant lui n’ait évoqué le sujet. Il est un avocat à
Meknès, « Expert en droit international, questions migratoires et conflit
du Sahara, Président de l'Académie de la Pensée Stratégique Draa Tafilalet ».
M. Louh ajoute qu’aucun diplomate marocain ne s'est rendu compte de la
gravité du contenu du rapport onusien.
Voyons ce qu’il en est.
L’auteur a émis plusieurs remarques. Nous allons les examiner une par
une :
1- A propos du paragraphe 89 du rapport
Ce paragraphe énonce :
« … j’appelle toutes les parties
concernées à s’efforcer de changer de cap sans délai, avec l’aide de l’ONU et
l’appui de l’ensemble de la communauté internationale ».
Question en débat : L’objectif
de cette recommandation serait vague, sans
précision du cap que le Secrétaire général envisage. Cela signifie-t-il
un changement dans l’approche politique
de la solution ? Ou dans la manière et comment gérer le dossier ? La question nécessite des explications
et des éclaircissements de la part du Secrétaire général car cet appel
constitue un avertissement au Maroc, qui est la partie qui bénéficie de la direction
actuelle.
Pour ma part, je ne vois ni danger ni avertissement dans ce
paragraphe. Lisons l’ensemble du paragraphe 89 :
« Je
reste vivement préoccupé par l’évolution de la situation au Sahara occidental.
Je suis parvenu à des conclusions analogues dans mes deux précédents rapports
au Conseil de sécurité sur la situation concernant le Sahara occidental
(S/2021/843 et S/2022/733), ce qui montre bien que l’état délétère de la
situation s’est enraciné. Cet état de fait doit être infléchi de toute urgence,
notamment pour éviter toute nouvelle escalade. C’est pourquoi j’appelle toutes les parties concernées à s’efforcer de changer de cap sans
délai, avec l’aide de l’ONU et l’appui de l’ensemble de la communauté
internationale ».
L’appel est lancé « à toutes les parties » et invite ces
dernières à « changer de cap sans délai » et cela
« pour éviter toute nouvelle escalade ». Le changement de cap que Guterres appelle de ses vœux vise
uniquement à assurer un apaisement de la situation, qu’il qualifie de
« délétère ».
De toute évidence, dans ce texte, il n’y a ni arrière-pensées ni objectif
caché et encore moins un avertissement destiné au Maroc. Il s’agit plus
simplement d’un signal d’alarme et un encouragement « à toutes les
parties » à calmer les choses et faire preuve de prudence. Rappelons que
la formule « toutes les parties » englobe aussi bien le Maroc que
l’Algérie, la Mauritanie et le polisario. C’est habituellement la formule qui
est utilisée par les fonctionnaires des Nations unies pour s’adresser à
l’Algérie sans la nommer. Car, aux Nations unies, on nomme rarement les choses
par leur nom.
2- A propos du paragraphe 90
Question en débat: Il
est reproché au Secrétaire général de placer le polisario sur un pied d'égalité
avec le Maroc, en évoquant la poursuite des hostilités entre eux. Comment le
Secrétaire général se permet-il cette approche du rétablissement du
cessez-le-feu donnant à croire que l'accord a été conclu entre les deux parties
le Maroc et le polisario ?
Voyons
le texte du paragraphe 90 :
« La
poursuite des hostilités et l’absence de cessez-le-feu entre le Maroc et le
Front polisario marquent un net recul dans la recherche d’une solution
politique à ce différend de longue date. Les incursions quotidiennes dans la
zone tampon attenante au mur de sable et les hostilités entre les parties dans
ce secteur sont contraires à son statut de zone démilitarisée et menacent
encore davantage la stabilité de la région, et un risque d’escalade existe tant
que persistent les hostilités. Les frappes aériennes et les tirs de part et
d’autre du mur de sable n’ont cessé de contribuer à la montée des tensions.
Dans ce contexte, il est primordial de rétablir un cessez-le-feu. »
En
réalité, Guterres sait parfaitement que les accords de
cessez-le-feu ont été signés, comme le
rappelle l’auteur, entre chaque partie séparément et les
Nations Unies. Le secrétaire général sait aussi qui a violé ce cessez-le-feu et
qui émet régulièrement des communiqués militaires (900 à ce jour) faisant état d’attaques
contre le mur de sécurité. Il écrit dans son rapport, au paragraphe 90 :
« Les frappes aériennes et les tirs de part et d’autre du mur de sable n’ont
cessé de contribuer à la montée des tensions ». Il évoque également des
« incursions quotidiennes dans la zone tampon attenante au mur de
sable » sans préciser par qui, ni mettre en cause une partie plutôt que l’autre,
ce qui est conforme à la doctrine des Nations unies.
Déjà en 2021, dans son
rapport S/2021/843 (1er octobre 2021), le secrétaire général se disait
« profondément préoccupé » par « les incursions
quotidiennes » dans la zone démilitarisée. Il appelait donc « les
parties à désamorcer la situation et à cesser
immédiatement les hostilités ».
Cependant, dans le
rapport 2023, on peut lire au paragraphe 2 : « La situation au Sahara
occidental a continué à se caractériser par des tensions et des hostilités de
faible intensité » entre le Maroc et le polisario.
Il s’agit bien
d’« hostilités de faible intensité », mais dont le secrétaire
général craint qu’elles ne dégénèrent. Car, avec les voisins dont nous sommes
affligés, on ne sait jamais.
3- A propos
du paragraphe 91
Question en débat: le Secrétaire général a exprimé sa conviction dans la
possibilité de parvenir à « une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui permette
l’autodétermination » des populations du Sahara, alors que le Conseil de sécurité plaide pour une solution de consensus, de
réalisme et de praticité depuis la date de la première utilisation de
l'expression « solution politique juste » dans la Résolution 1175/2006. Est-ce
un retour en arrière ou un revirement ? le secrétaire général cherche-t-il
à saper les efforts qui sont déployés par le conseil de sécurité depuis 17 ans
sachant que le mot « réalisme » a été farouchement combattu par
l’Algérie.
Relisons le paragraphe
91 :
« Ce contexte difficile rend la négociation d’une solution politique
à la question du Sahara occidental plus urgente que jamais, près de cinq
décennies après le début du conflit. Sous réserve que toutes les personnes
concernées se mobilisent de bonne foi et pourvu qu’il y ait une forte volonté
politique et un soutien constant de la communauté internationale, je demeure
convaincu qu’il est possible de parvenir à une solution politique juste,
durable et mutuellement acceptable, qui permette l’autodétermination du peuple
du Sahara, conformément aux résolutions 2440 (2018), 2468 (2019), 2494
(2019), 2548 (2020), 2602 (2021) et 2654 (2022) du Conseil de sécurité. »
Ainsi qu’il ressort de la partie du paragraphe qui est soulignée par nos
soins, la solution à laquelle se réfère le secrétaire général est celle qui est
prévue dans les résolutions du conseil
de sécurité qu’il énumère. Or toutes ces résolutions disent ce qui suit :
Réaffirmant sa volonté d’aider
les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et
mutuellement acceptable
2. Souligne qu’il convient de
faire des progrès dans la recherche d’une solution politique réaliste,
pragmatique et durable à la question du Sahara occidental, qui repose sur
le compromis,
Rappelons que le réalisme a été introduit pour la première fois dans le
rapport du secrétaire général daté du 14 avril 2008 (S/2008/251). Ban
Ki-moon y écrivait : « je pense … que l’élan ainsi donné ne pourra être maintenu que si les
deux parties s’efforcent de trouver un moyen de sortir de l’impasse politique
actuelle en faisant preuve de réalisme et d’un esprit de compromis. »
Il faut par ailleurs noter que la formule « solution politique » est
apparue pour la première fois
dans la Résolution 1429 en 2002 (30.07.2002) et non en
2006. Cette résolution dit :
. Soulignant qu’étant donné l’absence de
progrès dans le règlement du différend au sujet du Sahara occidental, la
recherche d’une solution politique est indispensable,
. Réaffirmant sa volonté d’aider les parties à parvenir à un règlement
politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui soit avantageux
pour la région du Maghreb,
. Déterminé à assurer une solution politique juste, durable et
mutuellement acceptable assurant l’autodétermination du peuple du Sahara
occidental dans le cadre d’arrangements compatibles avec les buts et
principes de la Charte des Nations Unies,
4-A propos du
paragraphe 92
Question
en débat : le secrétaire général
appelle les acteurs concernés par la question du Sahara à participer aux
négociations sur une solution politique juste dans le cadre d'une réunion
unifiée pour rechercher une solution politique en tenant compte des précédents
établis par les précédents envoyés personnels dans le cadre des résolutions
existantes du Conseil de sécurité. Mais, « le secrétaire général, une fois
de plus, a délibérément utilisé une expression ambiguë, car l'obligation qui
est imposée par le Conseil de sécurité au Secrétaire et à son Envoyé personnel
est une seule et unique, c'est de s’en tenir aux progrès réalisés et à l'accumulation
qui est portée par les décisions du conseil de sécurité ».
Que dit le paragraphe 92 ?
« L’Organisation des Nations Unies reste disposée à réunir tous ceux
que la question du Sahara occidental intéresse dans un effort commun visant à
rechercher une solution pacifique. Je les invite à aborder le processus
politique l’esprit ouvert, à ne pas poser de conditions préalables et à saisir
l’occasion qu’offrent la facilitation et les efforts de mon Envoyé personnel.
Pour orienter la ligne de conduite actuelle et future, il convient de tenir
dûment compte des précédents établis par mes anciens envoyés personnels dans le
cadre des résolutions existantes du Conseil de sécurité. »
Selon notre lecture :
-
Le secrétaire général invite
« tous ceux que la question du Sahara occidental intéresse » à
joindre leurs efforts pour rechercher une solution pacifique en tenant compte
des progrès et des précédents qui ont été accomplis par les précédents envoyés
personnels, dans le cadre des résolutions existantes du Conseil de sécurité.
-
L’appel du secrétaire général
s’adresse en premier lieu à l’Algérie dès lors que ce pays non seulement est
une « partie intéressée », mais, comme ne cesse de le répéter le
Maroc, une « partie prenante ». Et c’est à l’Algérie qu’il est
demandé de ne pas poser de conditions préalables puisque ce pays refuse de
prendre part aux tables rondes et s’accroche au référendum comme unique
solution au différend.
Le texte est donc sans
ambigüités et, faut-il le signaler, il n’y est fait
nulle part mention d’une « réunion unifiée ».
5-A propos du paragraphe
93
Question en débat: le secrétaire général relie le manque de confiance à
des mesures unilatérales et à des initiatives symboliques, qu'il décrit comme
une source de tension permanente et un impact négatif sur la situation , est un
constat qui constitue un danger pour les droits du Maroc, et est une source
d'inquiétude et une menace réelle pour le travail sérieux que fait le Maroc,
malgré le caractère général qui entoure le propos.
Examinons le paragraphe
93 :
« Je constate avec regret que
la méfiance continue de s’insinuer dans la région. Dans le territoire, les
actes unilatéraux de revendication et les gestes symboliques qui persistent
continuent d’être source de tensions constantes et aggravent la situation.
J’encourage les parties à porter leur attention sur les intérêts qu’elles
partagent et je les invite instamment à éviter une nouvelle escalade par leurs
discours et leurs actes. »
Le secrétaire général est dans
son rôle lorsqu’il tire la sonnette d’alarme à propos de tout ce qui peut
menacer la paix. Il lui est déjà arrivé dans de précédents rapports d’évoquer,
pour les désapprouver, ce qu’il appelle des « actes unilatéraux de
revendication » ou des « des actes d’affirmation » et des « gestes symboliques ».
6-A propos du
paragraphe 94
Question en débat : Ce paragraphe révèle, pour la première fois, la
tenue de « consultations bilatérales informelles » sous les auspices
de l’envoyé personnel du secrétaire général. Et
de se demander ce que signifie la formule employée :
est-ce entre chaque partie séparément avec l’envoyé personnel ou entre les
parties dans un format bilatéral sous les auspices de l’envoyé personnel. Quoi qu'il en soit, le
Secrétaire général appelle à l'adoption de cette méthode comme un autre moyen
et outil qui démontrera son efficacité, comme il l'a dit, et il a demandé son
adoption comme un cadre supplémentaire sur lequel on peut compter et adopter,
sans l’indiquer.
Texte du paragraphe 94
Dans ce contexte, je me
félicite des consultations bilatérales informelles qui se sont tenues sous les
auspices de mon Envoyé personnel à New York en mars 2023. Il est encourageant
que le Maroc, le Front POLISARIO, l’Algérie, la Mauritanie et les membres du
Groupe d’Amis aient accepté son invitation et que le format retenu ait été
largement accepté. Il semble émerger un nouveau cadre supplémentaire sur lequel
s’appuyer. Il est maintenant essentiel que toutes les parties concernées
développent plus avant leurs positions afin de progresser vers une solution
politique juste, durable et mutuellement acceptable, comme l’a demandé le
Conseil de sécurité dans sa résolution 2654 (2022).
Il s’agit, sans nul doute possible, de consultations bilatérales de l’envoyé personnel du secrétaire
général séparément avec chacune des parties. Rappelons
que cette formule est ancienne, l’ancien Envoyé
personnel du secrétaire général, Peter van Walsum, ayant tenu lui aussi des
« consultations bilatérales approfondies » séparément avec les
parties au début de l’année 2018. En effet, on peut lire dans le rapport du secrétaire
général S/2018/277 (29 mars 2018) :
27. Le 14 décembre, dans des lettres identiques sur le
fond, mon Envoyé personnel a invité les
parties au conflit et les États voisins à tenir des consultations bilatérales
approfondies.
Van Walsum avait ainsi rencontré le chef des renégats à Berlin,
puis il a tenu des consultations avec le
ministre marocain des affaires étrangères et de la coopération internationale à Lisbonne.
L’Envoyé personnel a rencontré, à Berlin, le ministre mauritanien des affaires étrangères et de la
coopération et enfin, toujours à Berlin, van Walsum
s’est réuni avec le ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale algérien.
7- Enregistrement des « réfugiés »
Question en
débat : Le secrétaire général n’a
pas évoqué la question de l’enregistrement des « réfugiés » retenus à Tindouf, en
territoire algérien.
Depuis 2018, pour des
raisons inconnues, la question n’est plus
évoquée dans les rapports du secrétaire général des nations unies.
8- Rôle de la France
Question en débat : « derrière le rapport du secrétaire général des
Nations unies se cache une France vaincue et rancunière expulsée des pays du Sahel.
Elle se venge et révèle sa réalité coloniale qu’elle a longtemps cachée
derrière le soutien de l’Algérie au Polisario. Derrière toutes les manœuvres
algériennes se cache la France, malgré le fait que cette dernière ait réussi à
préserver les apparences par crainte de la réaction du Maroc ».
Cette opinion et l’accusation qui en découle ne sont étayées par aucun élément
de preuve concret. C’est pourquoi, je resterais quant à moi circonspect. En
l’absence d’informations crédibles et n’étant pas en possession de suffisamment
d’éléments du dossier, je dirais seulement qu’à mon avis, la France ne cherche ni
à nuire au Maroc ni à se venger de lui. La France a été une pionnière dans l’appui
au Maroc dans la question de son intégrité territoriale et le soutien français
a été constant. On le vérifiera d’ailleurs dans quelques jours, lorsque le
conseil de sécurité sera appelé à se prononcer sur une nouvelle résolution
concernant la question du Sahara marocain. A plus ou moins longue échéance, il
parait inéluctable que l’Etat français, pour aller dans le sens de l’histoire,
oriente sa position dans un sens encore plus favorable au Maroc.
Conclusion
Le rapport du secrétaire général de l’ONU au
titre de 2023 n’est pas hostile au Maroc. En tout état de cause, ce rapport est
bien plus équilibré que certains rapports du temps de l’ancien secrétaire
général Ban Ki-moon, qui étaient franchement anti marocains, certainement sous
l’influence de l’ancien envoyé personnel Christopher Ross.
Les formules qui peuvent susciter des
interrogations sont habituelles dans les rapports du secrétaire général.
Quant à
rechercher une solution hors du cadre des Nations Unies, cette voie pourrait
paraitre séduisante, mais elle est difficile, pour ne pas dire impossible à
mettre en œuvre dans la réalité. Le canal des Nations
unies est incontournable comme l’a déclaré feu le roi Hassan
II au journal français « Le Monde » le 2 septembre 1992: « Je veux que notre acte de propriété du
Sahara occidental soit déposé à la conservation foncière des Nations unies afin
d’éliminer à jamais toute contestation ».