lundi 27 janvier 2020

Consuls et Consulats


Le terme de « consul » est apparu depuis le XI-XIIè siècle pour désigner un « homme administrant la communauté de ses compatriotes » à l’étranger. Peu à peu, des consuls ont été nommés dans les ports du bassin méditerranéen, avec un accroissement considérable du nombre de consulats au cours du xixe siècle. A l’origine, le consul européen, lui-même un marchand, pouvait ne représenter qu’une ville. Par la suite, le consul est devenu le représentant d’un État. Il était chargé de protéger les intérêts de ses compatriotes et exerçait à leur égard des fonctions judiciaires. Il renseignait sa corporation et éventuellement son gouvernement sur les questions commerciales, économiques et politiques. Le statut des consuls n’a été déterminé qu’en 1963, avec la signature d’une convention internationale[1].

Les fonctions consulaires sont exercées par des postes consulaires. Elles peuvent aussi être exercées par un service consulaire au sein d’une ambassade.
Le poste consulaire est un service administratif d’un Etat (Etat d’envoi) implanté sur le territoire d’un autre Etat (Etat de résidence).
Les « postes consulaires » peuvent être des consulats généraux, consulats, vice-consulats ou agences consulaires (ci-après « consulat » par simplification). Le consulat exerce ses fonctions dans les limites d’une circonscription consulaire donnée, qui peut être soit l’ensemble du territoire d’un pays, soit une ville ou encore une région, ou plusieurs régions.
L’Etat d’envoi fixe le siège, la catégorie et la circonscription du poste consulaire, sous réserve de l’accord de l’Etat de résidence.
Le consulat est ouvert à la suite de l’établissement de relations consulaires entre deux Etats. L’existence de relations diplomatiques implique généralement le consentement à l’établissement de relations consulaires. La rupture des relations diplomatiques n’entraîne pas ipso facto la rupture des relations consulaires. La réciprocité n’étant pas de mise, il n’y a pas d’« échange de consulats » comme c’est parfois le cas pour les ambassades. 
Le consul est nommé par son gouvernement au moyen d’un acte appelé « lettres de provision » ou « commission consulaire ». Ce document doit être soumis à l’Etat de résidence qui, alors, accorde au consul l’exequatur (permission). En attendant l’exequatur, le consul est admis provisoirement à exercer ses fonctions.
Le consul marocain autrefois
La présence d’agents consulaires du Maroc dans plusieurs villes du bassin méditerranéen est signalée dans différentes sources. Les consulats marocains étaient établis « le long de la route du Haj (Gibraltar, Tunis, Malte, Alexandrie et Le Caire), et, de manière intermittente, dans d’autres villes de l’Europe du sud (Marseille, Gênes, Livourne, Istanbul et Izmir) ». Les consuls ou les agents consulaires, marocains ou non, musulmans, juifs ou chrétiens, étaient des marchands déjà établis à l’étranger, et qui, grâce aux liens familiaux et aux relations commerciales qu’ils entretenaient des deux côtés de la Méditerranée, avaient pu tisser un réseau d’influence s’étendant sur le sud de l’Europe. Ils appartenaient à des familles de Tanger ou Tétouan qui avaient l’habitude de servir le Makhzen. Les agents consulaires marocains en Europe parlaient en général des langues étrangères et vivaient sans difficultés en milieu chrétien. 
Les agents consulaires, ou wakils (agents) du sultan, s’acquittaient de tâches consulaires classiques. Ils étaient chargés de fournir aide et assistance à leurs compatriotes, en majorité des commerçants, et veiller sur leurs intérêts. Ils délivraient des certificats et autres documents administratifs, effectuaient des démarches auprès des autorités locales et intervenaient dans les différends. Ils n’étaient pas rémunérés. 
Alors que les pays européens ont peu à peu professionnalisé la carrière consulaire, le Maroc n’a pas eu de consuls professionnels avant le protectorat. 

Le consulat exerce des fonctions en matière aussi bien administrative, que  judiciaire, notariale, commerciale, culturelle, etc.  Le consulat est principalement chargé de la protection des intérêts de son Etat, la protection et l’assistance de ses nationaux, la fourniture de prestations administratives et la délivrance de documents (passeports, visas, etc.). Les fonctionnaires consulaires ont une mission générale d’information.
On distingue deux catégories de consuls, les consuls de carrière et les consuls honoraires. Les premiers sont des diplomates de carrière (ou assimilés), rémunérés par leur Etat. Les seconds sont souvent citoyens de l’État dans lequel ils exercent, choisis parmi les personnes ayant un statut social élevé. En principe, ils ne sont pas rétribués.
Les fonctionnaires consulaires sont tenus au respect des lois et règlements de l’Etat de résidence. Les fonctionnaires consulaires de carrière ne peuvent exercer à titre privé aucune activité professionnelle ou commerciale.
L’Etat de résidence doit traiter les fonctionnaires consulaires avec respect et « prendre toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à leur personne, leur liberté et leur dignité ».
Les consulats peuvent hisser leur pavillon national sur les bâtiments occupés par le poste consulaire et la résidence du chef de poste consulaire.
Pour pouvoir s’acquitter de leur mission, les consulats bénéficient d’immunités, telle l’inviolabilité de leurs locaux et leurs archives, et de privilèges (exemptions fiscales). Les fonctionnaires consulaires de carrière jouissent de l’inviolabilité, l’immunité de juridiction, l’exemption fiscale, l’exonération des droits de douane et l’exemption de la visite douanière.

Consuls honoraires
Le Maroc a fait une réserve sur les articles 62 et 65 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. En conséquence, les objets destinés à l'usage de postes consulaires dirigés par un consul honoraire ne bénéficient pas de l'exemption douanière.
De même, les fonctionnaires consulaires honoraires ne sont pas exemptés de l'immatriculation des étrangers et du permis de séjour.




[1] Convention sur les relations consulaires conclue à Vienne le 24 avril 1963. Adhésion du Maroc : 23.02.1977, entrée en vigueur : 25 mars 1977. Voir Dahir n° 1-77-196 du 8 mai 1978 (B.O. n° 3501 du 5.12.1979).

lundi 20 janvier 2020

Guide de poche pour les soldats américains au Maroc


Le Maroc et les Marocains vus par les Américains en 1952


Le Département de la Défense des États-Unis a l’habitude de confectionner un guide pour les soldats américains stationnés à l’étranger. Le « Pocket Guide To French Morocco » élaboré en 1952 à l’intention des troupes américaines basées au Maroc ressemble à n’importe quel guide touristique. Le contenu, en effet, comprend une présentation générale du pays, de sa population, sa religion, son histoire, sa géographie, son climat, avec des informations pratiques utiles dans la vie quotidienne : système de mesures, monnaie, circulation automobile, etc. La partie centrale est constituée par des recommandations d’ordre général et des conseils sur l’attitude à observer dans des cas précis. Un glossaire de mots usuels en darija clôt le livret.
 
  « Guide de poche pour le Maroc français »
 
Après le débarquement des armées américaines au Maroc en 1942, les autorités du protectorat autorisèrent les Etats-Unis à implanter trois bases militaires, respectivement à Port Lyautey (Kénitra), Boulhaut (Benslimane) et Benguérir, des stations radar ou de télécommunications à Sidi Slimane, Sidi Yahya, Bouknadel et Saïdia et un dépôt de matériel à Nouaceur. Ces installations ont été progressivement évacuées après l’indépendance.

Le Maroc étant encore, en 1952, un protectorat français, le guide évoque en quelques lignes les Français, pour se concentrer sur les Marocains.

Voici comment le Département de la Défense des États-Unis voyait le Maroc et les recommandations qu’il donnait aux soldats américains.
Les soldats américains ne devaient pas oublier que leur pays avait été autorisé à installer et à exploiter des bases militaires dirigées contre « la menace d'un danger commun ». Ils devaient retenir trois choses : ils étaient les invités des gouvernements français et marocain (sic), ils devaient éviter les critiques à l'égard de l'administration française et ne pas prendre position dans le différend entre Marocains et Français au sujet de l’indépendance. Les GI’s  devaient se conduire en tout temps de manière à faire honneur à leur pays.
Le guide donne un aperçu de la géographie et de la « longue histoire » du Maroc, signalant que son emplacement a fait de ce pays, pendant des siècles, une zone stratégique. En 1787, le Maroc et les États-Unis ont conclu un traité d’amitié (qui est toujours en vigueur). Les États-Unis reconnaissaient le protectorat français, mais pas la zone espagnole.
Les Marocains sont parfois désignés de manière générique comme des « Arabes », parfois comme des « Musulmans ».
On apprend que l’analphabétisme est très élevé et le niveau de vie marocain bien inférieur à celui des États-Unis. Les commodités appréciées aux USA manquent. Les soldats sont prévenus qu’ils peuvent être « épouvantés » par les mouches et par la saleté.
Concernant les aliments, les fruits frais, les légumes et les viandes, de bonne qualité, sont beaucoup moins chers qu'aux États-Unis. Les repas dans les meilleurs restaurants et cafés peuvent être coûteux, mais il y a beaucoup de petits restaurants où des repas fins sont servis à des prix inférieurs à ceux des USA.
Islam
Les Marocains « sont très religieux ». En général, ils considèrent les personnes qui ne sont pas musulmanes comme des «infidèles» ou des «incroyants». En fait, ils estiment que leur religion est la seule vraie. Les soldats sont invités à ne pas regarder des musulmans prier en public et surtout, à ne pas les prendre en photo. Ils ne doivent pas essayer d'entrer dans une mosquée, ou même traîner à l'entrée d'une mosquée. Ils ne doivent jamais fumer ou cracher devant une mosquée.
Autre constatation : Il y a beaucoup de saints au Maroc. Certains lieux saints sont de petites huttes, des rochers sacrés, des grottes, des sources, des arbres. Il faut les éviter.
Ramadan
Les musulmans qui ont veillé tard pour rattraper le manger manqué pendant la journée ont soif, manquent de sommeil et ont souvent faim. Ils sont donc susceptibles d'être de mauvaise humeur. Pendant cette période, les étrangers doivent faire particulièrement attention à éviter les incidents désagréables.
Femmes
Le Coran permet à chaque homme d’avoir quatre femmes, mais peu de Marocains sont en mesure d'en entretenir plus d'une. La vie d'une femme marocaine est très différente de celle des femmes occidentales : Elle ne doit être vue que par les hommes de sa famille. Dans la rue, elle doit porter un voile. Les femmes berbères sont plus libres de se déplacer et, souvent, ne portent pas de voile. La fille du Sultan est dévoilée et des jeunes femmes marocaines suivent son exemple.
Autrefois, l'éducation des femmes marocaines était désapprouvée. Elles ne recevaient habituellement qu'une formation strictement religieuse. Aujourd'hui, cependant, de plus en plus de Marocains défendent l'éducation des femmes. Éduquées dans les écoles franco-musulmanes, elles apprennent l'artisanat et étudient les matières littéraires. En outre, les femmes ont le droit de posséder et de gérer leurs biens sans surveillance ni ingérence de la part des hommes.
Les hommes marocains sont extrêmement jaloux. Ils parlent rarement de leurs femmes, de leurs filles ou de leur mère avec d'autres hommes, même avec des amis musulmans. Il ne faut jamais demander à un Marocain des nouvelles de sa femme, de sa mère ou de sa sœur. Une règle à observer strictement: Ne jamais regarder une femme marocaine, ne jamais lui parler en public; ne jamais la bousculer, dans une foule ou ailleurs et ne jamais essayer de retirer le voile d'une femme ou de la toucher, d'une manière ou d'une autre.
Santé
·         Ne pas manger la nourriture vendue dans la rue ou dans les petits magasins. Peu importe ce que font les Marocains, eux ont accumulé au cours des siècles une certaine immunité contre la maladie.
·         Éviter de boire dans les ruisseaux, les puits publics et les fontaines. Faire bouillir l'eau.
·         Éviter de boire du lait frais ou des boissons gazeuses et de la crème glacée préparée localement.
·         Les puces, les poux et les tiques aiment se cacher dans les coutures des vêtements.
·         Les scorpions aiment se cacher dans des chaussures vides ou dans les litières.
 
  Comment se comporter avec les Marocains
Serrer la main des musulmans doucement. Beaucoup de musulmans, en particulier dans les villes, ont des mains fines qui peuvent facilement être blessées.
Un musulman peut parfois embrasser votre main, ou lever ses doigts à ses lèvres après vous avoir serré la main. Ne vous moquez pas de lui, c’est sa façon de montrer de la politesse.
Un homme peut porter des jupes et des boucles d'oreilles et être toujours un homme.
Il n’y a rien d’anormal chez des hommes qui marchent main dans la main.
Ne pas taper un Marocain dans le dos. Ne pas le pousser pour s'amuser, ni essayer de se battre avec lui, ou toucher son corps de quelque façon que ce soit. Il ne va pas aimer ça. Ils ne savent pas boxer. Mais ils savent se battre avec un couteau.
Les musulmans sont un peuple pudique et n’exposent pas leur nudité. Éviter de se déshabiller en leur présence.
Les musulmans sont très démocratiques et il n'y a pas de différence de couleur au Maroc. Traiter les gens de toutes sortes comme des égaux. Ne pas utiliser le mot français "indigène", les Marocains le considèrent comme insultant. 

 Chez les Marocains
Le Marocain attendra des compliments sur la beauté de sa maison et sur la nourriture servie. Attendre le signal de l’hôte avant de commencer à manger. Toujours rompre le pain à la main, ne jamais le couper avec un couteau. Et manger avec votre main droite, jamais avec la gauche, même si on est gaucher. Manger seulement une partie du premier plat; il peut y en avoir plusieurs autres à venir. Laisser de la nourriture pour les femmes et les enfants.
Ne pas apporter de chien dans une maison marocaine.
Circulation
Le non-respect des règles de la circulation est un passe-temps populaire. Il existe quelques feux de circulation, mais pratiquement aucun panneau d'arrêt. Néanmoins, les soldats américains sont invités à respecter les règles de la circulation. Leur violation par les Marocains n’autorise pas les étrangers à faire de même. Conduire prudemment, éviter les accidents à tout prix.
Mendiants
Il faut être « gentil » avec les mendiants. La plupart d'entre eux sont de véritables infortunés, et donner l'aumône aux pauvres est considéré comme une chose importante. Si on est approché par un mendiant, lui donner quelques francs. Mais prudence : Si on donne de l'argent à un mendiant quand d’autres traînent dans les environs, on risque de se retrouver encerclé par tous les mendiants présents.
Parmi les renseignements fournis dans le guide, on peut relever des affirmations ou des jugements contestables :
-      La majorité des Marocains parle arabe, observe les coutumes sociales arabes, porte des vêtements arabes et suit la religion arabe (sic).
-      Les caïds sont présentés comme étant des « magistrats religieux » (confusion avec les cadis).
-      Le Coran est la «Bible musulmane».
-      Le prophète Mohammed « semble s'être offert d'abord comme prophète du Dieu d'Israël, prêchant la religion d'Abraham par opposition aux religions païennes de La Mecque ».
-      La fête du Ramadan (« quelque chose comme le Carême ») tombe souvent pendant l'été. [Cependant, ailleurs dans le guide il est indiqué que « la fête du Ramadan, qui est le neuvième mois, peut tomber dans n'importe quelle saison »].
-      On ne sert pas d'alcool dans une maison musulmane.
-      Ne pas boire d'alcool en présence de musulmans et ne pas leur en offrir, ils seront offensés.
-      Les « musulmans » sont de grands buveurs de thé et ils en servent à leurs invités. Il faut toujours quitter après la troisième tasse de thé ( !), sauf si on est invité à rester pour un but spécial. A l’inverse, il n’est pas correct de partir avant de boire trois tasses (!!).
-      Un commerçant marocain est un négociateur astucieux. Il aime marchander sur les prix et il serait déçu si le client achètait au premier prix demandé (!).

De longs passages dans le guide ont été consacrés aux superstitions, en particulier au mauvais œil.
Le mauvais œil
Au Maroc, les superstitions sont fortes. L'une des plus fortes est la croyance dans le mauvais œil, « qui est reconnue par le Coran comme un fait ». L’œil peut transmettre des ondes diaboliques et des préjudices personnels. Dans certains endroits, les Marocains accusent le mauvais œil, plutôt qu'une cause naturelle, de 95 décès sur 100. Cette croyance dans le mauvais œil doit être prise au sérieux. Si le regard est accompagné de paroles de louange, le danger est considéré comme beaucoup plus grand.
Tout le monde n'est pas supposé avoir le mauvais œil, seulement les personnes ayant des yeux ou des sourcils inhabituels. Par exemple, un homme aux yeux bleus pourrait être considéré comme ayant le mauvais œil.
De multiples précautions sont prises pour éloigner le mauvais œil ou pour annuler ses effets : voile des femmes, animal vendu avec bab Allah, ou porte de Dieu (petite somme d'argent déduite du prix convenu), dessins de la main humaine avec des doigts tendus, appelée "cinq dans votre œil" peints sur les murs des maisons et des magasins comme protection contre le mauvais œil, ou comme décoration sur divers objets, cinq lignes ou cinq points, ou peut-être huit pétales de rose avec un centre commun, faisant une combinaison double-cinq, sourcil peint sur un mur ou tatoué sur le bras ou le nez.
Il faut commencer par dire "al-hamdou-li-Lah" avant de louer la beauté d’un enfant. De nombreux Marocains, en particulier dans les zones rurales, croient que les caméras, les jumelles, les instruments de topographie et les télescopes possèdent le mauvais œil. Faire preuve de prudence et ne pas tenter de photographier un Marocain, en particulier les femmes.
Il n’y avait pas que des avertissements et des conseils de prudence dans le guide. A condition de faire attention, les soldats américains pouvaient découvrir dans le pays « d’innombrables choses » qui enrichiraient leur expérience et leurs perspectives. C’est la recommandation que leur faisaient les auteurs du livret, en les encourageant à essayer de comprendre et d'apprécier les Marocains et leur pays. « Essayez d’apprendre le français et autant d’expressions arabes que possible. Quelques mots prononcés en arabe briseront souvent la glace, peu importe si vous le parlez mal, les Marocains apprécieront ».

On ne sait si les soldats américains apprirent l’arabe. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que nombreux furent les Marocains qui apprirent à baragouiner l’anglais, ainsi qu’en a porté témoignage Houcine Slaoui dans sa chanson bien connue, Zine wal ayn zerqa.