En 2019, un quotidien français (Le Monde, 6 avril 2019) se demandait si
on pouvait être ambassadeur de France après l’avoir été pour le Bénin. La
question se posait à l’occasion de la nomination d’un franco-béninois,
Jules-Armand Aniambossou, au poste d’ambassadeur de France en Ouganda, alors
qu’il avait été ambassadeur du Bénin en France entre 2013 et 2016. Ancien
condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA, Aniambossou était depuis août 2017 le
coordinateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, « une structure
restée en bonne part une coquille vide » selon le journal.
Cette nomination, inédite en France, avait fait grincer des dents au
Quai d’Orsay, et ouvert un débat « à la fois juridique mais aussi
sécuritaire ».
Au regard du droit, « un ambassadeur est l’incarnation de la
souveraineté de son pays à l’extérieur » rappelait Le Monde, qui
soulignait : « Et la souveraineté ne se partage pas ».
La France non seulement autorise la double nationalité mais n'exige pas
des hauts responsables qu'ils renoncent à leur autre nationalité. Le cas le
plus emblématique est celui de Manuel Valls, ce franco-espagnol qui a été
ministre de l’Intérieur puis Premier ministre en France, avant de briguer, sans
succès, la mairie de Barcelone pour retourner de nouveau en France.
Dans quelques pays, les diplomates binationaux ne sont pas nommés dans
le pays dont ils possèdent la nationalité.
Au Maroc, bien que la naturalisation étrangère soit considérée comme une
« décision individuelle » n’ayant aucun effet juridique au Maroc, la
règle est stricte : « L'acquisition par l'agent diplomatique et
consulaire d'une nationalité étrangère entraîne sa révocation des cadres du
ministère des affaires étrangères et de la coopération » (Article 58 du
décret n° 2-04-534 du 29 décembre 2004 portant statut particulier du personnel
du ministère des affaires étrangères et de la coopération, Bulletin officiel n°
5281 du 10/01/2005).
Qu’en est-il de l’ambassadeur ? Ce dernier n’est pas un agent
diplomatique au sens du statut de 2004, qui distingue cinq cadres :
Chancelier, Attaché, Secrétaire, Conseiller, Ministre plénipotentiaire.
Dans
l'ancien statut particulier des agents diplomatiques et consulaires (décret
royal n°1182-66 du 9 mars 1967), outre les cinq cadres déjà mentionnés, un
sixième cadre était celui de « l'emploi supérieur d'Ambassadeur ».
L'article
14 de ce même texte énonçait: « La dignité d'Ambassadeur est conférée
suivant les dispositions de l'article 6 du dahir n° 1-58-008 du 4 Chaâbane 1377
(24 février 1958) portant statut général de la fonction publique ».
Dans le décret de 2004, il n’est plus question d’« emploi supérieur » ou de « dignité ». Le texte ne donne pas de définition
des fonctions de l’ambassadeur, se bornant à indiquer « Les ambassadeurs
sont nommés par Sa Majesté le Roi » (article 27). Il est précisé,
cependant, que dans l’exercice de ses fonctions, l’ambassadeur est soumis aux
dispositions du statut (article 28).
Cette dernière disposition est contestable.
Les ambassadeurs ne sont pas des fonctionnaires. Certains ne sont pas
des diplomates de carrière et n’ont pas exercé dans l’administration publique.
Les fonctions d’ambassadeur n’ouvrent pas voie à titularisation et sont essentiellement
révocables. L’ambassadeur est dit en mission (temporaire) et ses fonctions ne
peuvent être comparées à celles d’un cadre de la fonction publique, quel que
soit son rang. Certains sont, certes, des fonctionnaires, en particulier les
cadres du ministère des affaires étrangères, mais l’ambassadeur, dès le moment
où il est nommé, n’est plus soumis au statut général de la fonction publique,
ni au statut particulier du personnel du ministère des affaires étrangères. Ces
deux textes contiennent en effet des dispositions incompatibles avec les
fonctions qui sont celles de l’ambassadeur. C’est dire qu’il y a une lacune
dans les textes, qui n’ont rien prévu au sujet des ambassadeurs, à l’exception
de leur rémunération (Décret du 19.09.1985, BO 3808-ar) et des deux articles
précités du statut des agents diplomatiques et consulaires.
Comment a-t-on pu imaginer de faire soumettre les ambassadeurs à un
statut particulier ? Ce dernier énonce des règles de discipline, des
droits et des devoirs qui s’appliquent à des agents se trouvant « vis-à-vis
de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire »
(article 3 du statut général de la fonction publique, SGFP). Le fonctionnaire
étant, comme on le sait, une personne nommée dans un emploi permanent et
titularisée dans un grade de la hiérarchie des cadres de l’administration de
l’Etat (article 2 du SGFP). Comment, par exemple, rendre applicable aux
ambassadeurs une disposition comme celle de l’article 60, qui fait obligation
aux agents diplomatiques et consulaires de demander une autorisation avant de
contracter mariage ? A quelle instance disciplinaire soumettre un
ambassadeur appelé à répondre d’une faute grave commise dans l’exercice de ses
fonctions ?
Mariage des agents diplomatiques et consulaires
(Article 60 à 62)
Le mariage des agents diplomatiques et consulaires
est subordonné à l'autorisation préalable du ministère des affaires étrangères.
Si le conjoint est de nationalité étrangère, la
demande est soumise à une commission, qui émet une recommandation en tenant
comte des circonstances exceptionnelles. La décision finale relève du ministre,
qui peut ne pas suivre l’avis de la commission.
L’inobservation de ces règles constitue une faute
grave et entraîne la comparution de l'agent concerné devant le conseil de
discipline.
En général, les autorisations de mariage sont
accordées sans difficultés majeures. Le ministre des affaires étrangères qui a
exercé entre 1977 à 1983, mû par des convictions personnelles, n’a autorisé
aucun mariage « mixte », mettant les couples concernés dans un grand
embarras à la fois social et financier (les frais des conjoints étrangers
n’étant pas pris en charge).
Un autre
ministre, probablement pour les mêmes raisons, avait déjà interdit la
délivrance de passeports diplomatiques aux « épouses étrangères »
(Circulaire n° 1-1280 SG/1 du 13.08.1973). Cette mesure n’a pas fait long feu,
tant étaient nombreux les hauts cadres du ministère qui étaient mariés à des
non Marocaines. C’est par ce biais, dit-on, que quelques-uns ont pu obtenir une
nationalité étrangère.
Un diplomate est un soldat. Il doit défendre sans réserve les intérêts de son
pays. S’il a une double nationalité, il aura fatalement une double allégeance.
Son engagement ne sera pas total et il pourra même, éventuellement, être amené
à faire un choix. C’est ce qu’exprimait à sa manière feu le roi Hassan II
lorsqu’il s’élevait contre l’intégration des émigrés marocains en Europe :
« Pourquoi lui demander, 30 ans après ou 60
ans après, d'aller comme un Français ou comme un Allemand, le drapeau national
sur l'épaule, se faire tuer pour l'Allemagne, pour la France ou pour l'Italie ?
À mon avis, c'est même immoral, on ne peut pas avoir deux drapeaux, car on ne
peut pas oublier l’ancien et on n'a pas tout à fait acquis le nouveau. Il vaut
mieux laisser chacun chez soi, mais prôner la fraternité humaine, l'égalité
humaine et les droits de l'homme, cela oui, mais l'intégration n'est bonne ni
pour l'intégré, ni pour celui qui intègre. »
Conférence
de presse, Marrakech, 7 mars 1986
L’accès aux fonctions d’ambassadeur et, en général, à toutes les hautes
fonctions, doit être réservé aux seuls nationaux. En 2008, un membre du
gouvernement fut déchargé de ses fonctions au motif qu’il s’était vu accorder
la nationalité espagnole. La loyauté des hauts commis de l’Etat ne doit pas
être sujette à caution. Or elle ne peut pas ne pas l’être dans le cas d’une
personne qui a juré ou promis de respecter la constitution d’un autre Etat.
Dans certains pays, qui appliquent des règles strictes, un diplomate dont le
conjoint est étranger ne pourra pas être ambassadeur. D’autres, moins
pointilleux, non seulement autorisent ces nominations, mais vont jusqu’à
accréditer l’ambassadeur dans le pays dont son conjoint est
originaire.
Un statut des ambassadeurs est nécessaire. Il s’agira de préciser les
attributions de l’ambassadeur et de définir des règles et des mesures pouvant
s’appliquer à tous les ambassadeurs, dans la diversité de leur statut ou
situation d’origine. La première de ces règles devrait
être l’interdiction absolue de la possession d’une autre nationalité.