mercredi 30 mars 2022

Diplomatie et réseaux sociaux

Un diplomate étranger s’est récemment autorisé une ingérence dans les affaires intérieures du Maroc dans un tweet reprochant indirectement à notre pays sa non-participation à un vote aux Nations Unies. Il a ajouté sur le ton d’un activiste militant : « l’histoire va montrer que la justice vaincra » (!)

Même en faisant la part de la faible maitrise de la langue française, de tels propos sont inadmissibles et c’est ce que les internautes ont clairement et massivement fait comprendre à l’imprudent diplomate. « Vous devez vous taire, Ambassadeur, vous êtes un invité », a titré un site électronique (http://telexpresse.com/174812/).

Tant et si bien que le tweet a été rapidement effacé et son auteur « s’est excusé », non sans préciser que c'était « un malentendu ».

De telles dérives ne sont pas nouvelles parmi le corps diplomatique. Quelques-uns semblent oublier que leur mission première est de représenter (aussi dignement que possible) leur pays et d’œuvrer à développer ou améliorer les relations bilatérales. Pas de donner des leçons, ni de critiquer (en public) les décisions souveraines de l’Etat qui les accueille.

Il y a quelques années, dans un texte publié sur un réseau social, un diplomate en poste à Rabat avait cru devoir critiquer une décision de justice. Après explication et rappel à l’ordre, il s’était rétracté.

Plus récemment, une diplomate avait rendu compte d’un entretien avec un haut responsable marocain en prenant quelques libertés avec la vérité, causant un vif émoi et se mettant dans un grand embarras.

Dans les trois cas, comme dans d’autres, c’est une publication sur les réseaux sociaux qui a soulevé le tollé et le protagoniste a été un diplomate européen.

Le piège des réseaux sociaux

Jadis, avant Internet, lorsque la diplomatie était synonyme de discrétion, les diplomates faisaient des rapports plus ou moins secrets à leur gouvernement. Ils ne s’épanchaient pas dans les médias, ou rarement. Ils se contentaient, à l’occasion, d’exprimer leurs vues en comité restreint, - les cocktails et les dîners diplomatiques sont fait pour ça -, ou s’en tenaient sagement à la traditionnelle réserve diplomatique. Le bon diplomate n’est-il pas, selon Jean-Jacques Rousseau, « celui qui tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de se taire » ?

Aujourd’hui, les diplomates pullulent sur le Net. C’est l’ère de la diplomatie 2.0.

S’adapter à son temps, oui. Tirer profit des outils fantastiques que sont les réseaux sociaux, oui. Mais en faisant attention à ce qu’on écrit car publier, c’est s’exposer et prendre des risques, à moins de se limiter à un pur travail d’information, sans s’aventurer sur le terrain glissant du commentaire ou du jugement. Ce rôle peut être joué par le compte officiel de l’ambassade, sans qu’il soit besoin pour un diplomate en activité d’avoir un compte personnel ex officio sur les réseaux. De la sorte, il y aura moins de sorties de piste.

 

samedi 5 mars 2022

Non-participation

 

 


La résolution qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 mars 2022 « déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte » des Nations Unies et « exige que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays ».

Le projet, - le fait est important et mérite d’être souligné, - était coparrainé par 96 Etats membres, dont deux Etats arabes, Koweït et Qatar, et sept Etats africains (Botswana, Gambie, Ghana, Libéria, Malawi, Niger, République démocratique du Congo).

Le texte a été adopté par 141 votes favorables.

Cinq Etats ont voté contre (Biélorussie, République de Corée, Erythrée, Russie et Syrie).

35 Etats se sont abstenus, parmi lesquels 17 pays africains et un pays arabe, l’Irak.  

En Afrique du nord, l'Algérie s’est abstenue, tandis que la Libye, la Mauritanie, la Tunisie et l'Égypte ont voté pour la résolution.

Pour sa part, le Maroc a opté pour la non-participation au vote, à l’instar d’onze Etats (Azerbaïdjan, Burkina Faso, Cameroun, Eswatini, Ethiopie, Guinée, Guinée Bissau, Togo, Turkménistan, Ouzbékistan, Venezuela).

Lorsqu’un texte est soumis au vote à l’assemblée générale, les choix possibles sont au nombre de trois : soit le vote favorable, soit le vote négatif, soit encore l’abstention.

L'abstention est le fait de participer au vote, mais de ne voter ni pour, ni contre. C’est un acte volontaire qui exprime la neutralité. L’Etat qui s’abstient refuse de choisir un camp par rapport à un autre. Il ne se positionne ni sur le oui, ni sur le non.

Mais c’est un acte qui peut prêter à équivoque. L'abstention, en effet, peut se vouloir l’expression de différentes attitudes :

-          Elle peut exprimer la volonté de ne pas compromettre l’adoption d’un texte ou, au contraire,

-          De gêner, voire empêcher cette adoption (lorsqu’une majorité est requise),

-          Soit simplement la volonté de rester à l’écart d’une querelle pour préserver ses intérêts.

L’abstention est un vote valable et elle est comptabilisée comme telle.

Deux autres méthodes produisent sensiblement les mêmes effets que l’abstention mais s’en éloignent quant à la procédure. Il s’agit de l’absence et la non-participation au vote :

-          L’absence est le fait pour un délégué de ne pas assister au vote. 

-          S’il est physiquement présent dans la salle et qu’il ne vote pas, on parle de non-participation au vote.

Dans ce dernier cas, la volonté de ne pas prendre parti est assumée, contrairement à l’absence, qui peut s’analyser comme une dérobade.

Le Maroc ne s’est pas dérobé. Sa position a-t-elle été judicieuse ? Oui, assurément, tant sur le fond que sur le procédé. Tout en rappelant son attachement aux règles fondamentales du Droit international et sans rien renier des principes qui guident sa politique étrangère, le Maroc a été attentif à ses intérêts supérieurs.  

vendredi 4 mars 2022

G4 : retour vers le passé


Le 18 février dernier, la présidence du Nigeria a annoncé la création d’un nouveau groupe régional, appelé G4, comprenant l’Algérie, l’Ethiopie, le Nigeria et l’Afrique du Sud.
Ce groupe informel, selon ses initiateurs, a pour but de réfléchir à des solutions « pratiques et efficaces » aux défis qui se posent à l'Afrique.
Des organes de presse ont prêté à ce « quatuor » l’ambition de devenir une « superpuissance africaine ». C’est aller vite en besogne.
Quels liens entre les quatre pays ?
Ensemble, ils abritent plus d’un tiers de la population du continent, mais ils ne sont pas voisins. Si l’Algérie est nord-africaine et arabophone, l’Afrique du sud, l’Ethiopie et le Nigeria sont anglophones et appartiennent à trois zones différentes : respectivement l’Afrique australe, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest.      
L’Algérie est le premier producteur de gaz d’Afrique, alors que le Nigeria est le premier producteur de pétrole du continent.
Les membres du G4 reconnaissent tous la soi-disant « rasd » mais leur degré d’hostilité au Maroc et à son intégrité territoriale est variable. En effet, rien ne peut égaler l’obsession et la mobilisation constante de l’Algérie dans ce dossier, suivie de l’Afrique du sud, à un moindre degré. L’Ethiopie et le Nigeria ne se signalent pas par un quelconque activisme dans ce cadre.
Les deux pays sont, en outre, engagés avec le Maroc dans des projets économiques d’envergure : usine de phosphates en Ethiopie et gazoduc Nigeria-Maroc-Europe. A ce sujet, on ne sait quel crédit accorder à l’annonce par les ministres algérien et nigérian du pétrole de la construction d’un gazoduc transsaharien, passant par l’Algérie vers l’Europe.
Il a été dit par ailleurs que les quatre pays étaient unis dans leur refus de l’octroi à Israël du statut d’observateur à l’Union africaine. Là non plus il n’y a pas convergence complète au sein du groupe et l’Algérie, dans sa croisade, fait figure de cavalier seul. Les trois autres pays abritent des ambassades israéliennes et entretiennent avec Tel Aviv de bonnes relations.
Certains ont affirmé que les membres du G4 « partagent le même point de vue sur de multiples questions concernant le continent ». « Multiples » ?
Il est précisé que les quatre pays sont contre les ingérences étrangères et partagent la même vision de la sécurité au Mali et en Libye.
Quel pays africain ne partage pas la même vision ?
On ignore pour l’instant qui des quatre pays a été l’initiateur du projet de création du G4. Si c’est l’Algérie, l’initiative est à suivre avec attention car, comme on le sait, le Maroc est toujours présent dans les stratégies algériennes. Pour Alger, tout ce qui peut nuire à son voisin est le bienvenu. Pour autant, peut-on dire que le G4 a été créé pour « contrer » le Maroc ou relancer « un noyau dur anti-marocain au sein de l’Union africaine »?  Rien n’est moins sûr et ce serait prêter à l’Algérie une influence qu’elle n’a pas (plus). On remarquera, du reste, que la diplomatie marocaine, sereine, ne s’est pas exprimée sur le sujet. Le Maroc n’a fait état d’aucun « mécontentement », ce sont des médias qui en ont fait leurs titres.
Le G4, pour certains, aurait pour objectif de se positionner face « aux autres puissances africaines comme le Maroc et l’Egypte ». Si le Maroc n’a pas réagi, l’Egypte, en revanche, n’a pas caché sa mauvaise humeur, à la fois pour avoir été tenue à l’écart et à cause de l’alliance de l’Algérie avec l’Ethiopie, pays avec lequel Le Caire a un différend au sujet des eaux du Nil.
En définitive, si on s’en tient aux déclarations d’intention, le G4 s’attribue des missions et des attributions qui relèvent statutairement de l’Union africaine. L’Acte constitutif de l’organisation énonce en effet dans son préambule que les Etats membres sont :  « Résolus à relever les défis multiformes auxquels sont confrontés notre continent et nos peuples, à la lumière des changements sociaux, économiques et politiques qui se produisent dans le monde ».
Telle qu’elle se présente, et en attendant de plus amples informations, la démarche des quatre pays apparait comme un facteur de division de l’union africaine. Elle constitue un retour au passé, lorsque l’Afrique était partagée entre le Groupe de Casablanca et le Groupe de Monrovia, avant la création de l’Organisation de l’unité africaine. Car, rien ne sera plus facile pour d’autre pays, demain, de créer un autre Groupe.

 

L’autre « Groupe des quatre »

Il existe un autre « Groupe des Quatre », de création plus ancienne, formé par l'Allemagne, le Brésil, l'Inde et le Japon. Objectif : obtenir chacun un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
L’Afrique ayant été « oubliée », le G4, pour réparer la bévue, a proposé d’attribuer deux sièges permanents au continent noir. Malgré plusieurs réunions, aucune décision n’a pu être prise au sein de l’Union africaine pour départager l'Égypte, le Nigeria et l'Afrique du Sud. Il faudra désormais compter avec le Maroc qui, depuis la reprise de son siège à l’organisation africaine,  aura à cœur de faire entendre sa voix.