lundi 30 janvier 2023

Arrêtez de dénigrer les diplomates !

        De temps à autre, des voix s’élèvent pour critiquer « la diplomatie marocaine » ou « les diplomates marocains », dans une généralisation inadmissible. Toute une profession est mise en cause de manière collective. C’est, sauf meilleure information, le seul cas où un corps entier est visé sans discernement. En effet, je n’ai personnellement encore jamais vu de critique dirigée contre un autre département ministériel et ses agents, ni contre une autre profession, publique ou privée. A-t-on jamais osé émettre une opinion négative sur « les agents d’autorité »/« l’Intérieur » ? sur « les ingénieurs agronomes »/« le ministère de l’agriculture » ? Ou encore sur « les architectes » ? Pourquoi réserver ses flèches uniquement au ministère des affaires étrangères et à ses cadres ? Est-ce parce que certains y voient une espèce de « mur bas » contre lequel on peut se livrer à loisir à toute sorte d’attaques sans risque ? La mise en cause générale « des diplomates », qui sont ainsi mis dans le même sac, ou « de la diplomatie marocaine » (!) est infondée et arbitraire. Elle est aussi excessive.
        Or, - et c’est un grand diplomate qui le dit : « tout ce qui est excessif est insignifiant » (Charles-Maurice de Talleyrand).
        Les diplomates ont pour mission de mettre en œuvre la politique étrangère. La conception de celle-ci n’est pas de leur ressort, ils peuvent donner leur avis et ils sont parfois consultés. Les diplomates en général et les ambassadeurs en particulier agissent selon des instructions et une feuille de route qui est tracée par le ministère des affaires étrangères. Il s’agit non pas de « bureaucratie » mais d’une pratique universelle. Mais il est apparemment moins périlleux de s’en prendre aux diplomates que de mettre en question la politique étrangère. Dénigrer des diplomates nommément désignés qui ne sont plus de ce monde et ne peuvent se défendre, est choquant.
        Les diplomates, parfois à leur corps défendant, sont sous les feux des projecteurs. L’opinion publique s’intéresse de plus en plus aux relations extérieures et suit l’actualité. Tout un chacun a un avis sur telle action ou telle démarche, et c’est tant mieux car les enjeux sont souvent importants. Il peut arriver qu’il y ait ici ou là une insuffisance, une carence ou une lacune, c’est inévitable et c’est le lot de toutes les œuvres humaines. Il y a des diplomates incompétents comme il existe des ingénieurs ou des gouverneurs peu doués, des journalistes médiocres ou des écrivains sans talent. Ce n’est pas une raison pour généraliser et pointer du doigt toute une communauté.
        Les diplomates professionnels connaissent leur métier. Ils étaient pour la plupart  issus de l’Ecole Nationale d’Administration, ils sont aujourd’hui formés à l’Académie des études diplomatiques. Il en va différemment pour ceux qui atterrissent au ministère des affaires étrangères ou qui y obtiennent des postes supérieurs sans aucune préparation. Le plus souvent, il s’agit de personnes qui ne peuvent se prévaloir d'aucune expérience diplomatique. Pire encore, certains n'ont jamais exercé de fonctions de responsabilité, voire ignorent tout de l'administration  de l'Etat (Voir Diplomatica Magazine n°65-2014).
        Ces « invités » se divisent en deux catégories : ceux qui s’engagent en toute modestie et humilité dans l’apprentissage du métier diplomatique et ceux qui se posent en donneurs de leçons. Les premiers parviennent à s’acquitter de leur mission avec plus ou moins de bonheur. Les autres se cantonnent dans un rôle de censeur, éternels insatisfaits, tempêtant contre le ministère des affaires étrangères, multipliant les exigences et s’en prenant à leurs collaborateurs. Ceux-là devraient s’astreindre à une certaine réserve et avoir la décence d’observer de la retenue. N’ayant pas eu le courage de leurs idées en temps voulu, il leur conviendrait notamment, quels que soient leurs griefs ou leur amertume, de s’abstenir d’émettre a posteriori des jugements à l'emporte-pièce.  
        Et puisque c’est de la Question Nationale qu’il s’agit, il faut rappeler qu'au lendemain de la récupération de Saguia el hamra et Oued Eddahab, la diplomatie marocaine s'est trouvée confrontée, du jour au lendemain, sans y avoir été préparée, à une tâche titanesque, avec des moyens modestes.  Les diplomates marocains se sont lancés à corps perdu dans une bataille sans merci, face aux achats de votes, aux résolutions préfabriquées, aux reconnaissances sur commande.  Ils ont été sur tous les fronts, aux quatre coins de la planète, dans des conditions inimaginables, parfois au péril de leur vie dans des pays où il n'y avait ni ambassade marocaine ni infrastructures sanitaires.
        La diplomatie marocaine, officielle et officieuse, a géré l'affaire du Sahara de manière plus qu'honorable. Il a fallu lutter à la fois :

        -    contre les milieux européens hostiles au Maroc (de gauche notamment);
        -    contre des pays africains, sud-américains et caribéens qui voyaient dans le Maroc un "pays agresseur" ;
        -    contre le poids, les pétrodollars et le prestige de l'Algérie, qui, dans les années 70, était à son apogée: leadership à l'ONU, à l'OUA, au sein du Mouvement des Non Alignés et à l'OPEP; "Mecque" des mouvements progressistes;
        -    Contre des milieux espagnols qui estimaient que le gouvernement de Carlos Arias Navarro avait "abandonné" le Sahara en 1976.

        Il a fallu défendre becs et ongles le principe de l’intégrité territoriale sans rejeter un autre    principe, sacro-saint dans le Tiers Monde, celui de l'autodétermination des peuples.
        Dès le départ, le handicap était énorme et la lutte inégale.  Des ambassades ont été ouvertes à la hâte dans des pays où les adversaires du Maroc étaient déjà solidement installés, en particulier en Afrique et en Amérique latine, et où les diplomates marocains n'étaient pas toujours les bienvenus.  Le terrain a cependant été progressivement reconquis, avec patience et détermination. Il reste encore du chemin à parcourir et la vigilance reste de mise.
        Prétendre que les diplomates marocains ont été défaillants, c’est faire injure à des centaines d’agents de l'Etat qui servent leur pays avec abnégation et qui sont à la manœuvre en toute discrétion.  
        Prenons l’exemple de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Le Maroc n’a pas d’ambassade résidente dans tous les pays mais il y est efficacement représenté grâce aux accréditations multiples. C’est ainsi que la diplomatie marocaine a pu opérer un retournement spectaculaire dans cette région. Alors qu’une majorité de pays reconnaissait la « rasd », les suspensions et les retraits de reconnaissance se sont succédé depuis le premier pas qui a été effectué par le Pérou en 1996, si bien qu’aujourd’hui les deux camps sont à égalité, même si des retournements se produisent parfois.
        En définitive, les résultats parlent d’eux-mêmes : Le Maroc n’a rien lâché nulle part, il a, au contraire, marqué des points. Nos adversaires n’ont rien obtenu, ni à l’ONU ni ailleurs, et ce n’est pas faute d’avoir essayé depuis près de 50 ans. Ce n’est sûrement pas le fruit du hasard, mais l’aboutissement d’un travail constant et résolu de l’appareil diplomatique national, qui reste mobilisé derrière Sa Majesté le Roi.  
        Une autre critique, récurrente, porte sur la méconnaissance du Maroc dans certaines contrées. Des responsables dans tel ou tel pays « ne connaissent rien du Maroc » nous dit-on, l’ambassade ne fait pas son travail ! Il est temps de faire justice de ce reproche farfelu. La vérité est que les interlocuteurs importants de l’ambassade, ceux qui comptent, qu’ils soient responsables politiques, parlementaires, journalistes ou intellectuels, connaissent suffisamment le Maroc.
        Les contempteurs qui cherchent à régler d’obscurs comptes se trompent de cible. Avant de jeter l'anathème sur la diplomatie marocaine ou donner des leçons aux diplomates, il conviendrait de s’assurer qu’on n’est pas en position d’en recevoir.

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