* Ali Achour, ancien ambassadeur
Conseiller de la Fondation diplomatique, Rabat.
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Conseiller de la Fondation diplomatique, Rabat.
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Le 15
juin dernier, le Salvador, par la voix de son président, a annoncé le retrait
de la reconnaissance de la « rasd » (la reconnaissance avait eu lieu
en 1989). Le président salvadorien n’était pas le premier à opérer ce
revirement, et ne sera probablement pas le dernier. Cependant, contrairement
aux fois précédentes, des voix, peu nombreuses il est vrai, se sont aussitôt élevées,
notamment dans les milieux pro-polisario en Espagne, pour qualifier la décision
salvadorienne de « contraire au droit international », en se référant
à la Convention relative aux droits et devoirs des États, signée à Montevideo
le 26 décembre 1933.
Irrévocable,
la reconnaissance d’Etat ? Nous allons essayer de répondre à cette
question après avoir brièvement évoqué les points suivants :
Qu’est-ce qu’un Etat ?
Qu’est-ce que la reconnaissance d’Etat ?
La rasd est-elle un Etat ? (Admission de la « rasd » à
l’OUA)
Reconnaissance et retrait de reconnaissance de la « rasd »
Quid de la Convention
de Montevideo ?
Qu’est-ce qu’un Etat ?
En simplifiant, on dira qu’aux yeux du droit
international, les éléments constitutifs d'un Etat sont au nombre de quatre :
- Un Etat doit comprendre une communauté ;
- Cette communauté doit être dirigée par une puissance publique ;
- Ce pouvoir doit s'exercer à l'intérieur d’un territoire ;
- La notion d'Etat implique souveraineté et indépendance. Une entité soumise au contrôle d'un Etat ou d’une autre communauté ne peut valablement être considérée comme un Etat. Pour être un sujet de droit international, il faut logiquement pouvoir avoir un accès direct au droit international, sans intermédiaire.
Qu’est-ce
que la reconnaissance d’Etat ?
Nous
laisserons de côté la reconnaissance de gouvernement pour nous concentrer sur
la reconnaissance d’Etat. Il est admis que la reconnaissance d'État est l'acte
par lequel un État prend acte de l'existence d'une entité qui réunit les
éléments constitutifs d’un Etat et manifeste sa volonté de le considérer comme
tel. C’est un acte unilatéral et volontaire. La reconnaissance peut être de jure (expresse) ou de facto (tacite). Elle peut être
individuelle ou collective (par plusieurs Etats). L’admission d’une entité dans
une organisation internationale n’implique pas ipso facto sa
reconnaissance par tous les Etats membres de l’organisation. Certains auteurs
parlent, dans ce cas, de reconnaissance implicite par les Etats qui ont voté en
faveur de l’admission. On en déduit, a contrario, qu’il n’y a pas de
reconnaissance de la part de ceux qui ont voté contre. A fortiori lorsque la charte de l’organisation internationale a été violée (voir infra, l'admission de la "rasd" à l'OUA).
Il
n’existe pas d’obligation de reconnaissance, les Etats sont libres de
reconnaître ou pas. Les Etats peuvent se reconnaitre sans pour autant avoir de
relations diplomatiques. L’établissement des relations diplomatiques n’est pas
automatique mais intervient, le cas échéant, dans un acte distinct.
La
reconnaissance est un acte discrétionnaire. Il arrive qu’elle ait un caractère
strictement politique. C’est le cas lorsque, par pur opportunisme politique,
une entité est reconnue comme Etat alors qu’elle ne réunit pas tous les
éléments constitutifs. Le cas
le plus flagrant est celui de la « rasd », comme
nous le verrons plus loin. Inversement,
un État peut décider de ne pas reconnaitre une entité qui, pourtant, remplit
toutes les conditions pour être un État.
La « rasd » est-elle un Etat ?
C’était
le sens de la question préjudicielle qui a été posée par le Maroc en 1980 à la
Conférence de l’OUA. La « rasd » ayant déposé une demande
d'admission à l'organisation africaine[1], le
Maroc, invoquant les articles 4 et 28 de la Charte de l'OUA, a demandé à la
Conférence de se prononcer au préalable sur la question de savoir si la « rasd »
remplissait les conditions requises en tant qu'Etat indépendant et souverain.
Dans une confusion totale, le vote n’a pas eu lieu et les deux points (demande
d’adhésion de la « rasd » et question posée par le Maroc) ont
été suspendus.
La
« rasd » a été proclamée sur le sol algérien le 17 février 1976, le
jour du départ des Espagnols du Sahara. C'est le seul cas connu où un Etat
met une portion de son territoire à la disposition d'un groupe armé pour y
créer un « Etat ». Cette étrange entité ne possède aucun des
éléments constitutifs d'un Etat souverain, tels que définis par le droit
international. La situation de la rasd est sans précédent: on connaît
les cas de gouvernements en exil, les exemples ne manquent pas, mais le
concept d'Etat en exil est totalement inédit.
-
C’est
une république "délocalisée", dont les lois s’appliquent sur une portion du
territoire algérien, que le gouvernement d’Alger a complaisamment accepté de
placer sous juridiction du polisario ;
-
Une
république qui dit vivre de l’aide humanitaire internationale (mais qui
entretient un réseau diplomatique à faire pâlir d’envie nombre d’Etats
indépendants !) ;
-
Une
république dont la population est constituée exclusivement de « réfugiés » ;
-
Des « réfugiés »
dont personne ne connaît ni l’identité ni le nombre exact, pour la bonne raison
que l’Algérie s’oppose à leur recensement.
L’absence
de territoire a mis à mal tout le montage et ruiné la fiction d’une
« république » indépendante. Depuis quelque temps, pour combler cette
lacune et donner à sa « république » l’assise territoriale qui lui
fait cruellement défaut, le polisario affirme qu’il a réussi à « libérer
une partie » du Sahara. Ce qui permet, en jonglant avec les mots, de
donner corps à la théorie de l’existence d’un « Etat ». En parlant
tantôt de « rasd », tantôt de « Sahara occidental »,
on sème la confusion et on induit en erreur les personnes mal averties. Au
besoin, on évitera de déterminer sur une carte l’emplacement de la
« république ». Peu importe que cet « Etat » ne soit pas
membre de l’ONU, ni qu’il n’ait ni passeport, ni monnaie nationale, ni code
téléphonique international …
Parmi
les éléments constitutifs de l’Etat, le territoire est fondamental. S’il n’y a
pas de territoire sur lequel le pouvoir va exercer son autorité, l’Etat devient
une vue de l’esprit.
La « rasd »
ne possède pas de personnalité juridique
internationale.
Ce n’est
pas un Etat, tout juste une fiction.
Admission de la « rasd » à l’OUA
En
1982, au cours d'une réunion du Conseil des ministres de l'OUA, en principe
consacrée aux questions administratives et financières, le Secrétaire général,
Edem Kodjo (Togo), a laissé la délégation de la « rasd » prendre
place dans la salle, sous prétexte que la majorité des Etats africains avait
reconnu cette « république » à Freetown, en 1980. Ce faisant,
Kodjo a non seulement violé la charte de l’OUA, mais a fait fi de la position
qu’il défendait l’année précédente, lorsqu’il se déclarait
« incompétent ».
La
délégation marocaine s'est retirée et le Maroc a adressé une lettre au
Président de l'OUA (Kenya) et président du Comité du suivi ainsi qu'une lettre
au Secrétaire général de l'OUA pour protester contre cette violation de la
Charte.
Le 23
février, la délégation marocaine ayant repris son siège, un débat houleux a eu
lieu, à l'issue duquel huit pays se sont retirés : Maroc, Sénégal, Côte
d'Ivoire, Cameroun, Zaïre, Guinée, Soudan, République Centrafricaine. Le Gabon
et la Somalie ont déclaré qu'ils ne reconnaissaient pas l'admission de la
« rasd » (soutenue par 20 pays). Le lendemain, la Tunisie, le
Niger et Djibouti se sont retirés, suivis par la Guinée Equatoriale, soit, au
total, 19 pays.
Le coup
qui venait d’être porté à l’OUA l’a plongée dans une crise sans précédent, au
point que la réunion qui devait se tenir l’année suivante à Tripoli, boycottée
par le Maroc et 18 pays en raison de la présence de la « rasd »,
n’a pas pu avoir lieu.
En
1984, au XXème sommet réuni à Addis-Abeba, une délégation de la
« rasd », ayant pris place dans la salle, la délégation
marocaine s'est retirée. L'OUA a ainsi violé la décision qu'elle avait prise en
1976 de ne pas reconnaître la « république sahraouie », dès
lors que « la reconnaissance d'un Etat est un acte individuel de
souveraineté ».
Le coup
de force étant consommé, le Maroc a annoncé sa décision de se retirer de l'OUA,
en signe de protestation contre cette violation flagrante de la charte
africaine.
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Reconnaissances et retraits de reconnaissance de la
« rasd »
La « rasd », dès sa
proclamation, a été immédiatement reconnue par Alger puis par d'autres pays, en
particulier en Afrique et en Amérique latine.
Quelle
valeur peut-on donner à ces « reconnaissances » ? Nous savons
aujourd’hui que si quelques gouvernements, mus par des considérations
politiques, ont agi en connaissance de cause, plusieurs autres ont péché par
ignorance. Preuve en est que, depuis lors, plus de 50 pays (53 !) ont
retiré, suspendu ou « gelé » leur reconnaissance de la « rasd »[2]. Les
derniers Etats qui maintiennent leur position sont en majorité africains, sud-américains ou
caribéens, comme l’Algérie, le Zimbabwe, Cuba ou le Venezuela, ainsi que la
Corée du Nord, des pays dont on ne peut pas dire qu'ils sont des modèles de
démocratie et de respect des droits humains.
Le cas de la « rasd » est le parfait exemple de la « reconnaissance du statut d'Etat à une entité contestée ». Cette reconnaissance, intervenue en violation des règles du droit international, est dépourvue de valeur juridique.
Les 53 gouvernements
qui sont revenus sur la décision initiale de leur pays, souvent prise à une époque lointaine dont parfois personne ne garde le souvenir, n’ont
fait en réalité que corriger une anomalie juridique et rétablir la légalité. En
effet, un Etat qui reconnaît une entité en tant que sujet de droit
international et plus tard s'aperçoit de son erreur, a toute latitude d’opérer ce
que Hans Kelsen appelle un actus contrarius, c'est-à-dire retirer la
reconnaissance.
Les Etats
qui ont retiré leur reconnaissance de la « rasd » auraient pu se
contenter de rompre les relations diplomatiques avec cette
« république ». Mais outre que la plupart n’ont pas de relations
diplomatiques avec la « rasd », le retrait de la reconnaissance est
une décision plus forte car extrême.
Quid alors de la Convention de Montevideo ?
L’article
6 de ce texte, invoqué par les amis du polisario à l’appui de leurs thèses,
énonce : « La reconnaissance est inconditionnelle et
irrévocable. »
Observons
cependant que la Convention de Montevideo n’a été signée que par 20 pays du
continent américain, parmi lesquels seul un petit nombre l’a ratifiée. Bien
qu’ouverte à la signature d’autres parties, aucun Etat n’a répondu à l’appel.
Elle reste fondamentalement une convention spécifique à une région géographique
déterminée et ne peut prétendre à l’universalité car elle ne reflète pas les
différents courants de pensée qui existent de par le monde.
Dans ces
conditions, cette convention n’engage que les Etats qui l’ont signée et ne peut
valablement constituer une norme du droit positif.
Du
reste, contrairement à l’article premier de ce texte, qui définit la notion d'Etat,
l’article 6 déjà cité n’a pas trouvé sa place dans la pratique des Etats. La
reconnaissance d’Etat reste un domaine qui n’a pas été codifié et où prévaut la
volonté souveraine des Etats, sans arbitre ni contrôle. Les Etats peuvent
difficilement admettre une clause aussi contraignante dans une question
hautement politique. On peut objecter que les retraits intempestifs de
reconnaissance seraient un facteur d’incertitude et de déstabilisation des
relations internationales. Notons que le retrait d’une grande puissance d’une
organisation internationale ou d’un traité multilatéral est un acte qui a des
conséquences autrement plus graves sur l’ordre juridique international. En
revanche, un retrait de reconnaissance n’a de conséquences que dans les
relations bilatérales entre les deux Etats concernés. L’Etat auquel un autre Etat
a retiré sa reconnaissance ou qu’il n’a jamais reconnu n’en cesse pas pour
autant d’exister, si tant est qu’il remplit les conditions requises.
Si le
retrait de reconnaissance de la « rasd » soulève des questions sur sa
légalité, l’acte initial de reconnaissance en soulève tout autant car entaché
d’une irrégularité originelle.
Il est
remarquable de noter que le retrait de reconnaissance d’Etat n’est pas une pratique
courante, raison pour laquelle la question ne retient pas l’attention des
juristes et ne fait pas l’objet d’un débat. En réalité, à l’heure actuelle, seule
la « rasd » est concernée. Il est vrai que tout ce qui a trait à cette
pseudo-république est hors normes, depuis les circonstances de sa proclamation
jusqu’à son admission à l’OUA.
A ce
niveau, on ne peut plus parler de droit international, ni même de droit tout
court.
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NDA. Quelques
passages sont tirés de mon livre, Sahara marocain, 20 questions pour
comprendre, Rabat (2018, 2è éd.).
[1] La démarche de la « rasd » a été
soutenue par 18 voix, puis 23, puis 24, puis 26. Les deux voix qui ont permis
d’atteindre la majorité étaient celles du Tchad et du Mali.
[2] Derniers
en date : Rwanda (2015), Suriname (2016),
Ghana (2016),
Jamaïque(2016), Malawi
(2017), Zambie (2018),
Salvador (2019).
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