Une brouille tenace
En principe, le Maroc sera prochainement
représenté à Pretoria par un ambassadeur, treize ans après le rappel du dernier
en date. L’ambassade de l’Afrique du Sud au Maroc, quant à elle, continuera
d’être dirigée par un Chargé d’affaires a.i.
Le 30 avril dernier, l’Afrique du Sud
s’est abstenue au sujet de la résolution 2468 du conseil de sécurité des
Nations Unies prorogeant de six mois le mandat de la MINURSO. Le représentant
permanent sud-africain, Jerry Matthews Matjila, a affirmé avoir d’abord
envisagé de voter contre, avant de se raviser. L’explication de vote de Matjila
a été en réalité une attaque en règle contre le Maroc, dans un long
réquisitoire que n’auraient désapprouvé ni l’Algérie ni le polisario. Le
représentant sud-africain a sournoisement évoqué la « rasd » alors
que la pseudo république n’est concernée ni par le processus en cours aux
Nations unies ni par la résolution du conseil de sécurité.
L’Afrique du sud affirme défendre des
principes et ne nourrir aucune hostilité à l’égard du Maroc. Ce n’est pas
l’avis de Rabat, qui estime que Pretoria a adopté une attitude inamicale et
anachronique qui ne va pas dans le sens des efforts de la communauté
internationale et ne favorise pas la recherche d’une solution.
Activisme sud-africain
L’activisme de l’Afrique du sud ne se
dément pas. Il ne fera que redoubler d’intensité pendant les deux années
(2019-2020) où le pays occupera un siège au conseil de sécurité. C’est ce qu’a
affirmé sans détours le 12 avril dernier la ministre des Relations
internationales et de la Coopération
Lindiwe Sisulu,
n’hésitant pas à mêler Sahara et Palestine dans un amalgame cher à la diplomatie
algérienne : « L’Afrique du Sud
utilisera également son mandat de membre non permanent du Conseil de sécurité
pour attirer l’attention sur l’occupation du Sahara occidental et de la
Palestine ».
C’est
dire que la brouille entre le Maroc et l’Afrique du Sud ne semble pas près de
se dissiper. Le désaccord a surgi en 2004, après l’annonce par le président
sud-africain d’alors, Thabo M'Beki, de la mise à exécution de la décision de
reconnaitre la « rasd ». Cette décision avait été prise du temps du président Nelson Mandela,
mais avait été différée à la demande de feu Hassan II, qui avait fait valoir
que la question était prise en charge par les Nations Unies, et qu’une reconnaissance
de la « rasd » aurait été contreproductive. Pour expliquer et
justifier sa décision, M’Beki s’est référé à la réponse du Maroc du 9 avril
2004 à la proposition de l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU,
James Baker, intitulée "Plan de paix pour l'autodétermination du Sahara
occidental ". Dans cette réponse, il était spécifié que « pour le
Royaume, la nature définitive de la solution d'autonomie n'est pas négociable. Il
est donc hors de question que le Maroc engage des négociations avec qui que ce
soit sur sa souveraineté et son intégrité territoriale ». Cette clarification
a été considérée par le gouvernement sud-africain comme contraire au droit
international et aux engagements pris antérieurement par le Maroc.
La mésentente s’est manifestée dans le domaine du sport, plus précisément le football, et donné lieu à une rivalité qui a envenimé les relations bilatérales. La candidature des deux pays pour accueillir la coupe du monde de football en 2006 et en 2010 a attisé les récriminations et provoqué en Afrique du sud une virulente campagne contre le Maroc. Malgré tout, beau joueur, le Maroc a pris acte de la décision du comité de la FIFA et félicité le gouvernement sud-africain. De même, Rabat a exprimé son soutien à la candidature de l’Afrique du sud à un siège non-permanent au conseil de sécurité pour la période 2011-2012.
La mésentente s’est manifestée dans le domaine du sport, plus précisément le football, et donné lieu à une rivalité qui a envenimé les relations bilatérales. La candidature des deux pays pour accueillir la coupe du monde de football en 2006 et en 2010 a attisé les récriminations et provoqué en Afrique du sud une virulente campagne contre le Maroc. Malgré tout, beau joueur, le Maroc a pris acte de la décision du comité de la FIFA et félicité le gouvernement sud-africain. De même, Rabat a exprimé son soutien à la candidature de l’Afrique du sud à un siège non-permanent au conseil de sécurité pour la période 2011-2012.
En juin 2013, recevant le soi-disant « ministre
des Affaires étrangères de la rasd », Mohamed Ould Salek, la ministre des
Relations internationales et de la Coopération, Maite Nkoana-Mashabane (2009-2018), n’a pas
hésité à se référer au Sahara comme un territoire occupé et aux forces de
sécurité marocaines comme « occupantes ». Dans la foulée, elle a
signé avec Ould Salek trois accords, dont un mémorandum d’entente sur les
consultations diplomatiques. Avec Nkoana-Mashabane, les grincements n’ont pas
manqué et les échanges ont parfois été vifs.
Celle qui l’a précédée dans les fonctions de ministre des Relations internationales et de
la Coopération, Nkosazana Dlamini-Zuma (1999–2009), une fois élue à la tête de
la commission de l’Union africaine (en 2012), a fait du dossier du Sahara une
question personnelle. Elle s’est fixé pour objectif de redonner à
l’organisation africaine un rôle actif dans ce dossier. Une de ses premières
décisions, dès qu’elle a pris ses fonctions, a été de remettre, avec la
complicité et le soutien actif du lobby algérien à l’UA, la question sur
l’agenda et œuvré pour l’adoption de résolutions de plus en plus hostiles au
Maroc. Pendant tout son mandat (2012-2017), Dlamini-Zuma a fait preuve d’un
activisme effréné pour tenter d’accabler le Maroc. Au demeurant, ses
provocations ne sont pas étrangères à la décision du Maroc de reprendre son
siège à Addis.
En Janvier 2017, à la veille de la visite en Afrique
du sud de Brahim Ghali, la ministre sud-africaine Nkoana-Mashabane a pris sa
plume pour rédiger une plaidoirie passionnée en faveur du polisario, qu’elle a
fait publier comme tribune libre dans The Daily Maverick sous le titre
« Independence of Western Sahara is an inalienable right » (la presse
a précisé par la suite que la ministre n’avait pas mentionné dans son texte
l’« indépendance » mais l’« autodétermination »).
Un autre bras de fer a eu lieu, cette fois à propos
des phosphates. En mai 2017, le navire Cherry Blossom, transportant une
cargaison de phosphate destiné à la Nouvelle-Zélande, a été saisi à Port
Elizabeth sur ordre d’un juge sud-africain. L’OCP a refusé de participer à la
procédure judiciaire, qualifiant celle-ci de « piraterie politique commise
sous couverture judiciaire ». Une année plus tard, en mai 2018, le navire
a été relâché après paiement des frais
de justice.
Rencontres sans lendemain
En novembre 2017, en marge de la 5ème réunion
au Sommet Union Africaine-Union Européenne, le roi Mohammed VI s’est réuni à
Abidjan avec le président sud-africain, Jacob Zuma. Ce dernier a écouté le roi sur
la question du Sahara, reconnaissant, selon Jeune Afrique, qu’il n’était
« pas au courant » de tous les éléments du dossier. Les deux chefs d’État
ont décidé d’élever le niveau des représentations diplomatiques respectives. Selon
l’hebdomadaire, une source marocaine a indiqué que « la partie
sud-africaine aurait promis de ne plus afficher de position systématiquement
hostile aux intérêts marocains à l’UA ni à l’ONU ».
Dans une
déclaration au quotidien sud-africain News24, Jacob Zuma, après avoir
affirmé que « le Maroc est un pays
africain avec lequel nous avons besoin d’avoir des relations », a dit que le
Maroc devra désigner un ambassadeur à Pretoria « comme premier signe de la
volonté des deux pays de relever le niveau de leurs représentations
diplomatiques dans les capitales des deux pays ».
Dans le
prolongement de cette réunion, les ministres des affaires étrangères des deux
pays ont eu un entretien à Rabat, en janvier 2018, en marge de la Conférence
ministérielle pour un Agenda africain sur la migration. L’entretien, qui a été
qualifié de « franc et cordial », a été l’occasion de coordonner l’action des deux
pays et leurs efforts au service de l’Afrique. Le choix des mots semble
cependant indiquer que chacun a campé sur ses positions.
En
février 2018 Cyril Ramaphosa a succédé à Jacob Zuma à la présidence de
l’Afrique du sud, Lindiwe Sisulu a remplacé Nkoana-Mashabane
aux affaires étrangères et les espoirs de rapprochement qui s’étaient esquissés
se sont estompés.
Le Maroc
a néanmoins respecté son engagement d’accréditer à Pretoria un ambassadeur, et introduit
un agrément en août 2018 (que les autorités sud-africaines ont tardé plus que
de raison à accorder).
En
visite au Maroc en octobre 2018, la présidente du parlement sud-africain,
Baleka Mbete, a affirmé vouloir « saisir toutes les opportunités en vue de
jeter les ponts de rapprochement » entre son pays et le Maroc. Paroles de
circonstances sans lendemain.
Appui
constant
Dès janvier
2019, la nouvelle ministre des Relations extérieures et de la Coopération
internationale, Lindiwe Sisulu, a réitéré lors d’une visite à Alger l’appui de Pretoria
au polisario. La ministre avait déjà affirmé en décembre 2018 que cet appui
serait une priorité pour son pays au Conseil de sécurité, affirmation qu’elle
répétera, comme il a déjà été indiqué, en avril 2019.
De son
côté, le président Ramaphosa, dans un discours prononcé le 12 janvier 2019 au
stade de Durban, en commémoration du 107è anniversaire de la création de l’ANC,
a réaffirmé l’appui de son gouvernement au polisario et à la rasd. « Nous
travaillerons à l’Union africaine et aux Nations Unies pour la libération du Sahara
occidental, la dernière colonie en Afrique »,
a-t-il souligné.
Début mars 2019, on apprenait que l'Afrique du Sud et
la Namibie préparaient une « Conférence de solidarité avec le Sahara
occidental » organisée par la Communauté de développement de l'Afrique
australe (SADC). Preuve d’un grand embarras, les organisateurs ont tâtonné d’un
communiqué à l’autre, le titre de la conférence a changé et la solidarité a
visé tantôt le « Sahara occidental », tantôt « la rasd », voire
« la rasd/Sahara occidental ». La réunion, dont le principe avait été
approuvé par le 38è sommet ordinaire de la SADC, a eu lieu à Pretoria les 25 et
26 mars 2019. Au parlement, le président Ramaphosa a déclaré que le but de la
Conférence était le « soutien à la lutte du peuple sahraoui contre
l'occupation coloniale de son territoire ».
Marrakech vs Pretoria
Le
Maroc a réagi en organisant à Marrakech, à la même date, une conférence ministérielle
africaine, sur le thème « l’appui de l’Union Africaine au processus
politique des Nations Unies sur le différend régional au sujet du Sahara
marocain ». Le but de la réunion a été « d’exprimer le soutien à la
Décision qui a été adoptée lors du 31ème Sommet de l’UA à Nouakchott en juillet
2018 ». La décision en question réaffirme l’exclusivité des Nations Unies
dans l’examen du différend régional au sujet du Sahara marocain. Prise dans la
hâte, l’initiative
était sinon hasardeuse, du moins audacieuse, mais la contre-offensive
diplomatique du Maroc a réussi puisque 37 pays africains ont assisté à la
conférence de Marrakech contre 24 seulement à Pretoria, parmi lesquels des pays
non africains, comme Cuba, le Nicaragua, Timor oriental et le Venezuela. Quelques
pays hors SADC, présentés comme « ayant des vues similaires », ont
servi à grossir les troupes, avec à leur tête l’Algérie, imitée par le Kenya, le Nigeria, l’Ouganda et Sao Tomé et Principe.
On notera que deux pays membres de la SADC, l’Union des Comores et Madagascar,
ne se sont pas fait représenter à Pretoria mais ont répondu à l’invitation
marocaine. Plusieurs pays ont tenu à être présents dans les deux
réunions : Angola, République démocratique du Congo, Eswatini (Swaziland), Malawi, Nigeria Zambie, Sao
Tomé-et-Principe, Tanzanie. L’Egypte et la Mauritanie n’ont fait le déplacement
ni à Marrakech ni à Pretoria.
Dans la déclaration finale de la réunion de Marrakech,
les pays signataires
- ont salué « l’adoption, à l’unanimité, de la décision (…) 693 qui réaffirme l’exclusivité des Nations Unies en tant que cadre de recherche d’une solution politique, mutuellement acceptable, réaliste, pragmatique et durable à la question du Sahara ».
- se sont félicités de la mise en place, par la décision 693, du mécanisme de la Troïka (…) pour apporter un soutien efficace aux efforts conduits par les Nations Unies ».
- ont décidé de soutenir le mandat de la Troïka de l’UA, « à l’exclusion de tout organe de l’Union à quelque niveau que ce soit ».
- ont estimé que la formule « relative à la représentation de l’Afrique par la Troïka, le Président de la Commission, les Présidents des Communautés Economiques Régionales ainsi que le Président du NEPAD, élargie aux membres du Bureau de la Présidence de l’Union, constitue une solution réaliste pour la résolution de la question du format de participation aux processus de partenariat liant l’Union Africaine et ses réunions ».
Fauteurs
de troubles
A
Pretoria, les participants sont allés à contrecourant en endossant des
recommandations en contradiction sur des points essentiels avec celles de
la réunion de Marrakech et de la majorité des pays africains:
- En « [mettant] l'accent sur le rôle central de l'UA dans le règlement du conflit du Sahara occidental »
- en « [réaffirmant] le rôle de l'Union africaine, en particulier du Conseil de paix et de sécurité de l'UA ».
- en « [invitant] le Conseil de sécurité de l'ONU à élargir le mandat de la MINURSO afin qu’il comporte la surveillance de la situation des droits de l'homme au Sahara
- en réaffirmant, au sujet des partenariats, « le droit de tous les États membres de l'Union africaine de participer à tous les partenariats, réunions et activités de l'UA ». C’est, évidemment, autour du cas de la « rasd » qui tourne tout ce débat.
Au passage, on peut se demander comment les pays qui ont envoyé
des représentants à la fois à Marrakech et Pretoria, pourront-ils concilier les
positions contradictoires qu’ils ont assumées dans l’une et l’autre réunion. On
ne sait s’il faut parler de désinvolture ou d’inconscience…
En définitive, la conférence de Pretoria a été un échec que
l’Afrique du sud peine à reconnaitre. Elle s’est trouvée par la force des
choses dans le rôle inconfortable de diviseur de l’Afrique, pendant qu’à
Marrakech, les délégués mettaient l’accent sur leur « attachement
indéfectible à une Afrique unie, stable, proactive et prospère, parlant d’une
seule voix ».
Au vu
des derniers développements, tout donne à penser que l’Afrique du sud ne compte pas changer de cap, en tout cas pas à
court terme. Sa présence au Conseil de sécurité lui offre, jusqu’à décembre
2020, une tribune dont elle se servira pour guerroyer contre le Maroc. Elle
sera d’autant plus tentée de redoubler d’efforts, aussi bien à l’ONU qu’à l’UA,
que le principal mentor du polisario, l’Algérie, traverse une phase pleine
d’incertitudes. Notre diplomatie aura fort à faire dans ce qui a tout l’air
d’être une mission impossible, tant les vues sont irréconciliables et les
perspectives d’entente aléatoires, à moins d’un changement majeur en Afrique du
sud, où l’ANC perd pied et où la situation économique est désastreuse. L’intransigeance
de l’Afrique du sud n’est pas sans rappeler celle d’un autre pays lointain, le
Venezuela, prospère il n’y a pas longtemps, aujourd’hui en pleine déconfiture.
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