dimanche 8 décembre 2019

Quels sont nos droits face aux vigiles?

J’ai été récemment témoin d’une altercation entre une cliente d’un supermarché et un agent de sécurité. L’incident m’a poussé à chercher à en savoir plus sur les vigiles et leurs pouvoirs*.

Ils font désormais partie du paysage. Ils, ce sont « les agents des entreprises de gardiennage et de transport de fonds », autrement dit les vigiles. Les entreprises de sécurité privée ont proliféré, en réponse à une demande de plus en plus importante, en raison notamment de la menace terroriste. Le recours aux vigiles s’est étendu à tous les établissements et lieux ouverts au public, jusqu’à certaines administrations de l’Etat. Les clients des entreprises de gardiennage trouvent leur compte dans ce système, qui leur permet de s’assurer les services d’employés dont ils n’ont à gérer ni la rémunération ni la sécurité sociale. 

Qu’est-ce qu’un vigile ?
C’est un agent employé par une entreprise de  surveillance, de gardiennage, de sécurité ou de  transport de fonds. Il s’agit donc d’un salarié et non d’un employé de l’Etat ou d’une collectivité locale. Les entreprises doivent être autorisées à exercer leur activité, l’autorisation est accordée par le wali.
Le vigile ne doit pas avoir fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle, pour des motifs incompatibles avec l’exercice de la profession, notamment s’il a commis des actes contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.
Les vigiles doivent être détenteurs d’un diplôme ou certificat sanctionnant l’acquisition des compétences requises pour l’exercice de leurs activités. Ils peuvent porter une tenue particulière qui ne doit cependant entraîner aucune confusion avec les tenues des agents des services publics de l’Etat. La tenue doit comporter la dénomination ou le sigle apparents de l’entreprise. Le port de la tenue est interdit en dehors des heures de travail. 
Les vigiles peuvent être porteurs de moyens de défense, qui ne peuvent être utilisés qu’en cas de légitime défense.  Il s’agit des matraques de type « bâton de défense » ou « tonfa » et des générateurs d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes.
Remarque
En France la détention des aérosols (« bombes lacrymogènes») par les vigiles n’est pas autorisée.
Les entreprises de gardiennage et de transport de fonds peuvent utiliser les chiens à l’occasion de l’exercice de leur activité dans des lieux publics ou ouverts au public à condition que le maître-chien soit présent et que l’animal soit muselé et tenu en laisse.
Les vigiles ne peuvent pas exercer leurs activités à l’extérieur des bâtiments ou hors de la limite des lieux dont ils ont la garde, sauf autorisation exceptionnelle.
Interdictions
Il est interdit aux vigiles :
·         De s’immiscer dans le déroulement d’un conflit du travail ou d’événements s’y rapportant.
·         De se livrer à une surveillance relative aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou aux appartenances syndicales des personnes.
·         D’assurer des missions ayant pour objet la prévention des crimes, délits ou contraventions ou la poursuite de leurs auteurs ou ayant pour effet de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir, à l’intégrité physique des personnes ou à l’intimité de la vie privée. Dans ce cadre, les vigiles ne peuvent pas :
-       procéder à des palpations de sécurité ou à des fouilles à corps,
-       fouiller des bagages à main, sacs ou autres moyens de transport de biens meubles, sans le consentement exprès de leur détenteur(*),
-       exiger ou retenir un document justificatif d’identité,
-       retenir des effets personnels.
Toutefois :
Lorsque la sécurité l’exige, soit en raison du caractère particulier des lieux, soit en raison d’une conjoncture ou d’un événement particulier, les vigiles habilités par leurs employeurs, peuvent être autorisés par les autorités à procéder aux palpations de sécurité, aux fouilles à corps et des bagages à main, sacs ou autres moyens de transport de biens mobiliers.
La décision de l’autorité compétente doit pouvoir être consultée par le public, notamment par voie d’affichage aux emplacements où les contrôles doivent avoir lieu.
Les palpations de sécurité et les fouilles ne peuvent être effectuées :
-     Qu’en présence d’un officier ou d’un agent de police judiciaire,
-     Que par les vigiles de même sexe que celui de la personne concernée.
Remarques
-          Les vigiles peuvent procéder à la fouille des « bagages à main, sacs ou autres moyens de transport de biens mobiliers », alors que généralement, dans d’autres pays, les vigiles ne peuvent procéder qu'à une inspection visuelle du contenu des bagages à main.
-          Un vigile non habilité et non autorisé, qui surveille l’entrée d’un magasin ne peut pas fouiller les sacs des clients, mais il peut les passer au détecteur.
Questions 
·         Les vigiles habilités par leurs employeurs, et qui sont autorisés à procéder à des palpations de sécurité ou à des fouilles à corps doivent-ils porter un insigne particulier qui les différencie des autres ? Comment distinguer un vigile autorisé d’un convoyeur de fonds, un garde du corps ou un gardien ?
·         Ont-ils l’obligation d’exhiber la carte professionnelle ou l’autorisation réglementaire si elle leur est réclamée par la personne concernée ?
·         La palpation doit-elle être effectuée en public ou dans un espace isolé ?
On ne sait.
Contrainte et « séquestration »
On sait, en revanche, que les vigiles ne peuvent pas faire usage de contrainte à l’encontre des personnes, notamment les retenir sans leur consentement (sous réserve de l’application des dispositions des articles 430 et 431 du code pénal[1] et des articles 43 et 76 du code de procédure pénale[2]).
Toutefois :
Lorsque, par exemple, l’alarme d’un détecteur se déclenche dans un magasin et laisse supposer un vol, les vigiles peuvent contraindre la ou les personne (s) soupçonné (s) de l’infraction à rester sur place dans l’attente de la venue des autorités de police ou de gendarmerie, immédiatement informées de la situation. Ils peuvent également, conformément à l’article 76 du code de procédure pénale, les conduire au poste de police judiciaire le plus proche.
La contrainte employée dans ce cas doit être strictement proportionnée et adaptée aux circonstances. Elle doit se limiter aux mesures nécessaires pour s’assurer de l’identité de la personne, dans l’attente de sa remise ou de sa conduite entre les mains de l’autorité.
L’emploi de la contrainte engage la responsabilité personnelle du vigile et celle de  son entreprise.
Question
-          Le concept de « contrainte proportionnée » reste vague. Et si la personne contrôlée refuse d’attendre l’arrivée de l’officier de police judiciaire et veut quitter les lieux ? Le vigile voudra l'empêcher de partir, donc utiliser la force pour l’immobiliser. Où s’arrête la « contrainte proportionnée » ? On peut imaginer, face à un individu coriace, que le vigile se fera aider par ses collègues. Dérapages et bavures en perspective…


Références
- Dahir n° 1-07-155 du 30 novembre 2007 portant promulgation de la loi n° 27-06 relative aux activités de gardiennage et de transport de fonds.
- Décret n° 2-09-97 du 25 octobre 2010 pris pour l’application de la loi n° 27-06.


[1] Article 430 : Quiconque pouvant, sans risque pour lui ou pour des tiers, empêcher par son action immédiate, soit un fait qualifié crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne, s'abstient volontairement de le faire, est puni de l'emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de 200155 à 1.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement.
Article 431 : Quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que sans risque pour lui, ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours, est puni de l'emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de 200156 à 1.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement.
[2] Article 43 : (traduction non-officielle) Toute personne qui aura été témoin d'un crime, soit contre la sûreté publique, soit contre la vie ou les biens d'un individu sera pareillement tenue d'en donner avis au procureur du Roi ou au procureur général du Roi ou à la police judiciaire.
Si la victime est un enfant mineur ou handicapé mental, il y a lieu d’aviser toute autorité judiciaire ou administrative compétente.  
Article 76 : Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche.

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* Il y aurait à dire sur la situation des agents de sécurité, leurs conditions de travail, leur rémunération, etc. Ce n’est pas l’objet de ce texte.

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