Récit d'un emballement médiatique
Le 10 février dernier, une nouvelle a mis en émoi les salles de rédaction. « Conformément aux hautes instructions royales, pouvait-on lire, il a été décidé de mettre fin aux fonctions de M. Mohamed Benchaâboun en tant qu'ambassadeur de Sa Majesté auprès de la République française, à compter du 19 janvier 2023 ».
Jusque-là, rien de particulier, même si la phrase « décidé de mettre fin aux fonctions » peut prêter à équivoque en ce qu’elle suggère une sanction. Des hauts commis de l'Etat se voient signifier la fin de leur mission sans remous, le plus souvent sans que l'opinion publique en soit informée et il en est ainsi également pour les ambassadeurs.
Cependant, dans le cas présent, c'est la suite de l'information qui a provoqué l'emballement. En effet, il y est dit que "l’annonce a pris la forme d’un communiqué du ministère marocain des Affaires étrangères publié au Bulletin officiel". Et de préciser: c'est "une première". Pour sauter à la conclusion et estimer qu'il s'agit d'une "annonce aussi sobre et froide que peuvent l’être les colères du Maroc".
Il y a eu quiproquo. Plusieurs rédactions ont cru qu’il s’agissait d’un communiqué spécial du ministère
des Affaires étrangères qui aurait émis cette annonce exceptionnelle pour l’occasion. Personne ne s'est donné la peine de vérifier si le fameux "communiqué" a été émis par MAP.
Or, il n'y a absolument rien d'inhabituel dans cette procédure.
Le rappel d’un ambassadeur ne fait généralement l’objet d’aucune publicité. Dans son pays d'accréditation, l'ambassadeur nouvellement nommé est reçu par le Chef de l'Etat, à qui il présente ses Lettres de créance et les Lettres de rappel de son prédécesseur. Auparavant, il aura présenté au ministre des affaires étrangères ou à son délégué les "copies figurées" des mêmes Lettres.
Au niveau des services administratifs, lorsqu'il est mis fin à la mission d'un ambassadeur, un « communiqué » est publié au Bulletin Officiel, précisant la date de fin de mission. Il s’agit d’une formalité administrative à usage interne, prévue par un décret (n° 2.85.614 du 19 Septembre 1985) dont l’article 4 énonce : « Un communiqué du Ministre des Affaires Etrangères, publié au Bulletin Officiel, précise, dans chaque cas, la date de nomination et la date de fin de mission des ambassadeurs ».
Ce (mal nommé) "communiqué" ne s'adresse pas à l'opinion publique et n'est pas en principe destiné à être médiatisé. Ce n’est pas un communiqué de presse mais un simple acte administratif.Dans le cas contraire, un communiqué est diffusé par l’agence MAP. Et il n’est point publié au bulletin officiel ! C’est un indice qui ne trompe pas, et il aurait fallu prêter attention à ce point.
"Communiqués" de début de mission d'ambassadeurs
"Communiqués" de fin de mission d'ambassadeurs
Rappel d’un ambassadeur dans un contexte particulier, émission d’un « communiqué » et publication dudit communiqué au bulletin officiel : voilà réunis les ingrédients du (faux) scoop qui affole les rédactions et suscite moult interrogations.
L’annonce est normale. Le traitement qu’elle
a reçu l’est moins. Nous laissons de côté la date et le timing, pour ne parler que du "communiqué" de toutes les spéculations.
D’aucuns et non des moindres s'engouffreront dans la brèche tête baissée. On spéculera à loisir et on parlera d’une « nouvelle gradation dans les usages diplomatiques » (!), voire de « rupture ».
Le rappel d'un ambassadeur n'est annoncé dans un communiqué officiel diffusé par MAP (mais non publié au Bulletin officiel) que s'il s'agit :
- d'une rupture des relations diplomatiques;
- d'un rappel en consultation;
- d'une sanction (rare).
Peut-être serait-il judicieux, à l’avenir, de changer l'intitulé de l’annonce qui est publiée au bulletin officiel. En remplaçant « communiqué » par « communication » et en précisant dans le corps du texte qu’il est établi en application du décret de 1985, on éviterait les emballements.
Ainsi que les montées de température et les descentes en vrille...
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