jeudi 23 février 2023

Camps de Tindouf: Passeport espagnol.

La voie est, en principe, ouverte pour que le parlement espagnol examine une proposition de loi relative à l’attribution de la nationalité espagnole « aux sahraouis nés sous la souveraineté espagnole ». La proposition, qui a été présentée par Unidas Podemos, a été « admise à considération » à la chambre des députés le 14 février dernier, recueillant le soutien de 168 députés, notamment ceux du Parti populaire, de Unidas Podemos, et de Ciudadanos. Vox s’est abstenu, tandis que le Parti socialiste a voté contre, en justifiant son opposition par des désaccords à la fois « techniques » et « politiques ».

Dans son exposé des motifs, la proposition de loi rappelle que « lors de la conférence de Berlin, tenue entre le 15 novembre 1884 et le 26 février 1885, l'Espagne a obtenu, entre autres petits territoires, le Sahara occidental, un fragment autrefois connu par ses habitants sous le nom de Trab el Bidān (terre des blancs). Ce fut une possession espagnole de 1884 à 1976. Cette région, dont les contours ont été redéfinis dans les négociations franco-espagnoles entre 1900 et 1912, est connue sous le nom de "Sahara espagnol " ».

En 1958, le gouvernement de Madrid a transformé ses colonies en provinces d'outre-mer. Le Sahara espagnol s’est ainsi vu attribuer le statut de province métropolitaine, connue sous le nom de province numéro 53. La province jouissait « des droits de représentation dans les tribunaux et autres organismes publics correspondant aux provinces espagnoles ». Ses habitants avaient une pièce d'identité nationale espagnole, étudiaient dans les universités espagnoles, travaillaient comme fonctionnaires ou exerçaient dans l’armée.

Le décret royal 2258 du 10 août 1976 a prévu que les natifs du Sahara remplissant certaines conditions pouvaient opter pour la nationalité espagnole dans un délai d'un an, mais l'administration espagnole avait déjà quitté le territoire six mois auparavant et l'exercice effectif de cette option n’a pas été possible.

C’est sur cette base que des natifs de l’ex-Sahara espagnol ont revendiqué la nationalité espagnole. Mais la Cour suprême a estimé en juin 2020 que la naissance au Sahara occidental avant 1975 ne donne pas le droit d'obtenir la nationalité espagnole d'origine, car le Sahara occidental ne pouvait pas être considéré comme territoire national à l'époque où il était administré par l’Espagne.  

Ainsi, pour l’heure, la seule manière pour les natifs du Sahara occidental d'être naturalisés espagnols est de justifier d’une résidence légale en Espagne pendant dix ans sans interruption et ce immédiatement avant la demande.

Les natifs du Sahara ex-espagnol sont en majorité marocains et vivent au Maroc. Quelques-uns, vivant à l’étranger, ont pu obtenir des passeports d’autres pays ou des titres de voyage d’apatride. Parmi les dirigeants du polisario, quelques-uns ont des passeports espagnols, d’autres portent un passeport diplomatique algérien.

Dans le sillage de la facilité qui a été octroyée aux séfarades par la loi 12/2015 du 24 juin 2015, la proposition de loi prévoit :

  • De permettre aux natifs du Sahara ex-espagnol de demander la nationalité espagnole, même s’ils ne résident pas légalement en Espagne.
  • d'accorder la nationalité aux descendants au premier degré de consanguinité, dans un délai de 5 ans à compter de l'inscription à l'état civil de l'acquisition de la nationalité de l'un quelconque de leurs parents ;
  • la possibilité pour les natifs du Sahara ex-espagnol qui résident légalement en Espagne, même s'ils sont nés après 1976, de demander la nationalité espagnole après deux ans de résidence, comme c’est le cas des ressortissants d'Andorre, du Portugal ou de certains pays ibéro-américains.

Parmi les moyens de preuve requis, la proposition mentionne l’acte de naissance délivré « par les autorités sahraouies des camps de réfugiés de Tindouf et légalisé par la Représentation du Front Polisario en Espagne ». Cette disposition est doublement critiquable, en ce qu’elle fait référence à des « autorités sahraouies des camps de réfugiés de Tindouf » et qu’elle élève le polisario au rang d’autorité ayant capacité de délivrer des actes administratifs. Or, il s’agit, théoriquement, de camps de « réfugiés » qui doivent être soumis à la législation algérienne. Non seulement l’Etat algérien s’est dessaisi de ses prérogatives au profit d’un mouvement armé mais le Haut commissariat aux Réfugiés n’est pas admis dans les camps. Le député Sergio Guttierrez s’est fermement opposé, au nom du PSOE, à ce qu’une « organisation privée comme le Front polisario délivre des documents ».

Les autres documents pouvant être produits à l’appui de la demande de naturalisation sont les suivants: 

    a) Document d'identité national espagnol, même périmé.
    b) Certificat d'inscription au recensement pour le référendum du Sahara Occidental délivré par les Nations Unies.
    c) Acte de naissance, livret de famille, documents prouvant le statut d'employé public délivrés par l'administration espagnole au Sahara Occidental.
    d) Tout autre document émanant d'une autorité administrative espagnole prouvant la naissance au Sahara Occidental avant le 26 février 1976.

La demande d'acquisition de la nationalité sera présentée dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Cette période peut être prolongée pour une période supplémentaire d'un an, par décision du ministre de la Justice.

Outre les documents attestant la naissance au Sahara ex-espagnol avant le 26 février 1976, il faut fournir une attestation de casier judiciaire, légalisée ou apostillée et, le cas échéant, traduite, délivrée par les autorités du pays dans lequel  le demandeur a résidé au cours des cinq dernières années.

La proposition de loi prévoir une modification de l’article 22 du Code Civil, dont le premier paragraphe serait rédigé comme suit :

« Pour l'octroi de la nationalité par résidence, il est requis qu'elle ait duré dix ans. Cinq ans suffiront pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié et deux ans lorsqu’il s’agit de ressortissants originaires des pays ibéro-américains, d'Andorre, des Philippines, de Guinée équatoriale ou du Portugal, de séfarades ou de sahraouis

On remarquera que les groupes bénéficiaires sont identifiés par leur nationalité (ex. Portugal) ou par leur appartenance à un groupe ethnique déterminé (Séfarades), alors que les natifs de l’ancienne province espagnole sont désignés sous le vocable générique de « sahraouis ». Ce mot mériterait une explication. Qui sont les « sahraouis » ? Il n’existe pas de « nationalité sahraouie ». Logiquement tout habitant du Grand Sahara est sahraoui, sans préjudice de sa nationalité, qu’elle soit marocaine, algérienne, libyenne ou autre. Les auteurs de la proposition, dont les opinions hostiles au Maroc sont connues, ne manqueront pas d’évoquer les contraintes de rédaction et le souci d’abréger, mais le droit s’accommode parfaitement des longueurs dans un but de clarté. Ici, la formule « les personnes natives du Sahara ex-espagnol » aurait été plus juste et conforme à la réalité. Comme l’a bien dit le député Sergio Guttierrez, la nationalité espagnole est une question de politique intérieure, pas internationale, et elle ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiciennes.

La proposition de loi a provoqué une levée de boucliers de la part des victimes du terrorisme du polisario en Espagne, qui fustigent la volonté d’accorder aux membres et aux dirigeants du polisario la nationalité espagnole et demandent aux parlementaires espagnols de s’opposer à l’initiative de Podemos. On peut supposer que les individus qui se sont rendus coupables d’enlèvements, d’assassinats ou de torture seront écartés comme tous ceux qui ont des antécédents.

Si par miracle la proposition venait à être approuvée sans changements, elle sonnerait le glas des visées algériennes et mettrait fin à l’escroquerie de la soi-disant « république » de Tindouf car l’appel d’air serait tel que les camps se videraient de leur population.

Cela dit, il y a peu de chances que la proposition de loi soit adoptée en l’état. Les socialistes ont exprimé leur accord sur l'objectif, mais pas sur le processus. Ils privilégient l’option de la naturalisation par résidence, la durée de celle-ci étant réduite à deux ans. Sans doute le texte sera amendé dans le sens souhaité par le PSOE qui, pour l’occasion, pourrait compter sur les voix de l’extrême-droite de Vox.

Mais même dans cette hypothèse, la perspective d’obtenir la nationalité espagnole par résidence poussera un grand nombre de « réfugiés » à tenter leur chance, ne serait-ce que pour fuir les camps dans lesquels ils sont retenus prisonniers. Si l’armée algérienne s’y oppose, des troubles sont à prévoir et Alger devra faire face à la détermination de l’Espagne d’abord, de l’Union européenne ensuite. Les autres habitants des camps, ceux qui n’ont aucun lien avec Saguia el Hamra et Oued Eddahab, retourneront dans leur pays d’origine, s’ils en ont, sinon les autorités algériennes se retrouveront avec un groupe de mercenaires étrangers armés sur leur territoire.

Paradoxalement, la naturalisation espagnole, et ce n’est sans doute pas le but de Podemos, aurait une conséquence inattendue, celle de contribuer à clarifier une situation qu’Alger s’efforce depuis bientôt 50 ans  de maintenir dans l’opacité. Preuve en est que la presse algérienne, obéissant vraisemblablement à une consigne, a gardé un mutisme prudent, mis à part un commentaire prématurément triomphaliste d’un journal mal inspiré qui a titré sur la « double gifle du parlement espagnol au Maroc et au PSOE ».

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