« Le Français est notre butin de guerre » (Kateb Yacine).
Ce matin, je me suis décidé à faire ce que je déteste le plus dans le monde, aller dans une administration chercher une attestation. Il fait un froid de loup, nous sommes en plein mois 2.
Dans la queue, je discute avec mes voisins autour de plusieurs sujets. Abdelkader est furieux, il nous dit que les élèves aujourd’hui sont vraiment nuls. « Imaginez, nous dit-il, mon frère, qui est enseignant, m’a raconté l'autre jour qu’une fille lui a dit : Monsieur, je ne compris rien ! ». C’était drôle. El Mehdi dit : « Et moi, j'ai demandé une fois à un homme son âge et il a répondu : "je suis né à 28 ans » ! Nous avons ri de la bêteté des gens. Je leur ai dit qu'une collègue m'a dit une fois qu'à Essaouira, le vent "sote" très fort ! Nous nous sommes éclatés de rire.
Mon tour est arrivé et j'ai donné mon dossier à la secrétaire. J'avais peur qu'elle me dise qu'il manquait une pièce ou qu’il fallait la galiser mais heureusement, tout était en bon uniforme et elle a commencé à mettre les cache-nez sur les documents. D’ailleurs je m’étais enquéri auparavant sur les formalités, donc j’avais tout préparé. Elle m’a dit de payer le timbre. Aussi, elle m'a dit d'attendre la signature. Je lui ai demandé s’il ne valait pas mieux revenir l’après-midi, mais elle a dit que le chef de service n’allait pas tarder. Elle a ajouté : « Mais c’est vous que tu décides ». Nous avons décidé d’attendre et nous sommes sortis dehors pour fumer une cigarette.
Abdelkader : Les classes, c'est une auberge de Babel, il y a de tout, et rien que des phénomènes. Mon frère m’a dit qu’une fois, ils étaient tellement excités qu’il ne savait plus où se donner la tête.
El Mehdi soupire : L’enseignement, c’est un boulot difficile.
Abdelkader : Il n’y a que des cancres. Les bons élèves se comptent au doigt. Les profs font des efforts mais il ne faut s'attendre à aucun espoir, les élèves s'en fichent pas mal d’eux et des études.
Moi : Bon, les profs aussi c’est pas toujours top hein.
Nous avons récupéré nos papiers et Abdelkader nous a proposé de prendre un taxi ensemble. Je me suis assis à l'arrière à côté d'Abdelkader et la voiture n'arrêtait pas de grincer. J'avais mal au dos et j'ai fait une grimace. Le chauffeur m'a vu dans l'introviseur et il m'a dit en souriant : "Oui, excuse-moi, les amontisseurs sont fatigués, je dois l'amener au garage mais en ce moment les affaires ne vont pas bien, je suis épuisé". Tout à coup, il a donné un grand coup de frein parce qu'un motocycliste est passé sans s'arrêter au stop. Il y en a qui manquent totalement de civisme, ils bafouillent le code de la route tous les jours.
El Mehdi : C'est comme notre directeur, un minable qui se croit la science inculte, il te sourit mais il te casse en contaminé. Et il touche vous savez combien ? Vous allez avoir la chair de poule ! 3 millions ! Oui, par mois !
Moi (en sifflant) : Incroyable !
Abdelkader : Notre directeur, la semaine dernière, il a accroché une note de service surréaliste : il veut nous obliger à se cotiser pour acheter un cadeau à sa secrétaire qui part à la retraite. Et gâteau sur la cerise, il a fixé le tarif à 100 dirhams par tête. C'est abusé, non ? On a concerté entre nous et on a décidé de ne rien donner. Moi je veux bien, je peux donner les 100 dirhams, voire même plus, mais il faut que ce soit volontaire et il faut généraliser la chose pour mettre tout le monde sur le même pied d'égalité.
Moi : Tu as raison, moi je refuse de participer à ces fêtes ou ces cadeaux. Je suis un neutron libre, personne ne m'obligera à payer si je ne veux pas. C'est pourquoi je suis en bis-bis avec les autres. Mais je m'en fiche d'eux. S'ils croivent qu'ils sont plus malins, ils se trompent amèrement.
Abdelkader : Comme même ! Comme il a dit je ne me rappelle plus de son nom, c'est un imminent savant mondial, il faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages !
El Mehdi : C'est vrai. Mais je vous avoue que parfois je suis découragé, je ne veux plus être un mouton de Panurge dans cette farce. Hier justement, dans une réunion tout le monde parlait en même temps, c’était le souk, j’ai pété un câble et j’ai crié : « Arrêtez, j'en ai marre de cette réunion à la conne ! Vous vous calmez, sinon ça va batailler ! » Eh bien en infraction de seconde ils ont fait le silence. Mais j'ai envie de tout laisser tomber et de partir, faire un abandonnement de poste.
Moi : Non, surtout pas, il faut serrer les dents et se battre, quelques soient les problèmes.
Abdelkader : Là on ouvre la boîte du pont d’or. Au jour d’aujourd’hui, c'est l'enfer, parce que, comme l'a dit… Jean-Saul Patre, l'enfer c'est les autres.
El Mehdi : Tout à fait. Je vous le dis et répète : j'ai déjà reporté à une date ultérieure mais un jour je finirai par quitter...
Moi : Pour aller où ?
El Mehdi : N'importe où, la terre est vaste. Il suffit de changer sa fusée d'épaule. Je ne dis pas que c'est facile, mais il faut oser. Quand on a un bon diplôme, il n'y a que le choix de l'embarras...
Moi : C'est exact, pour toi il y a un large épouvantail de possibilités. Mais il faut agir dans la discrétion, pour ne pas leur mettre le pouce à l'oreille.
El Mehdi : Ne t'inquiète pas, je connais. Un jour ils vont se demander où je suis et moi je serai loin, dans le Bahamas ou au Cuba ! (il rit).
Moi : Si tu as de la chance, dans l'avion tu vas faire la connaissance d'une jolie comtesse de l'air... Tu auras ton permis de séjour sans problème, ce qui t'évitera d'être expatrié.
El Mehdi : J'ai un ami, il bossait dans les impôts, eh bien aujourd'hui il est au Canada, à l'aise, avec appartement et tout. La dernière fois qu'il est venu, c'était il y a 5 ans, il a ramené beaucoup de cadeaux et on lui a fait payer 500 dollars d'accident de bagages, le pauvre. Il a juré de ne plus revenir.
Moi : Il a raison. Quand on n'a pas ...
A ce moment-là, un camion nous a doublés et le bruit était assourdissant. El Mehdi a crié : "Parle plus fort, on ne t'écoute pas".
Moi : J'ai dit que quand on n'a pas de perspectives d’avenir, il faut faire preuve de résilience et se prendre par la main pour assurer son futur.
Abdelkader : Surtout quand il n'y a pas d'autre alternative et que tu es coincé dans un goulot d'étranglement.
El Mehdi : Bon, par contre, ce que je vais dire n'a rien à savoir, mais en attendant de pallier à tout ça, il faut positiver et prendre soin de sa santé. Je ne veux pas un caillou de sang dans le cerveau, moi...
Moi : Dieu nous protège. J'ai fait passer un scanner à ma mère, qui a eu mal à la tête, mais heureusement ce n'était rien de grave. Vous ne pouvez pas savoir combien je me suis soulagé !
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Ce texte est le fruit de l’imagination, mais le charabia, les expressions fautives, les contresens et les erreurs sont tous authentiques. Quelques perles ont été dites ou écrites par des personnes d’un certain niveau.
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