mercredi 19 juillet 2023

Israël-Sahara marocain : Un soutien de poids

Israël a officialisé sa reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du sud. Un coup de tonnerre dans un ciel bleu ? Oui, assurément. Une surprise ? Pas vraiment.

Contrairement à ce qui a été dit, l’annonce n’a pas été retardée parce que Tel Aviv aurait posé des conditions ou exigé une contrepartie. L’appui israélien au Maroc dans cette question est sans faille et n’a jamais fait de doute. Il restait seulement à déterminer le moment le plus approprié pour faire l’annonce officielle. Le timing était important et l’alignement des planètes tout autant. La diplomatie marocaine, en maitresse aguerrie des horloges, a finalement estimé le moment venu. «Avant l'heure, c'est pas l'heure ; après l'heure, c'est plus l'heure » a dit feu Hassan II dans une conférence de presse, en 1972, reprenant une phrase de Jules Jouy qui a donné son titre à une chanson connue.

La lettre de Benyamin Netanyahu a été rendue publique le 17 juillet, soit le jour de l’expiration des accords du Maroc avec l’Union européenne et une semaine avant les élections générales en Espagne. On peut y voir des messages à l’intention de ceux qui croient pouvoir agiter la menace d’un revirement.

La lettre israélienne non seulement fait part de la décision de reconnaitre la marocanité du Sahara, en précisant qu’il s’agit d’une « décision d’Etat », mais elle va plus loin et expose les intentions du gouvernement israélien  ainsi que les mesures qu’il compte prendre dans le but de concrétiser cette décision.

Le Premier ministre israélien indique, en effet, que 

  • la décision israélienne sera « reflétée dans tous les actes et les documents pertinents du gouvernement israélien ».
  • cette décision sera notifiée « aux Nations Unies, aux organisations régionales et internationales dont Israël est membre, ainsi qu’à tous les pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques ».
  • Israël envisage l’ouverture d’un consulat à Dakhla.

·    La feuille de route est précise, elle sera respectée à la lettre.

Dans la hiérarchie de la panoplie des formules diplomatiques qui ont été utilisées par les Etats pour exprimer leur soutien au Maroc, la déclinaison israélienne se place au même niveau que la « Proclamation reconnaissant la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental » qui a été signée le 10 décembre 2020 par le président des Etats-Unis d’Amérique, Donald J. Trump. Il n’y a pas de formule alambiquée ni de circonlocutions ou de demi-mots. La déclaration israélienne est claire et forte et traduit un engagement résolu aux côtés du Maroc, bien au-delà d’un appui de circonstance à la proposition marocaine d’autonomie.

 

Israël n’est pas un Etat quelconque et sa décision n’est pas anodine comme se plaisent à le dire les renégats de Tindouf désorientés en l’absence d’une réaction officielle d’Alger. La reconnaissance israélienne aura des conséquences à grande échelle tant elle met la pression sur tous ceux qui hésitent ou trainent les pieds.

D’aucuns spéculent sur la contrepartie ou les concessions qui ont été obtenues par la partie israélienne. Certes, dans les relations entre Etats, il n’y a pas place pour les sentiments. Mais, justement, la relation entre le Maroc et Israël n’est pas banale. Elle est sans doute faite d’intérêts, mais la charge émotionnelle l’emporte sur toute autre considération. Les Israéliens, en général, qu’ils soient ou non originaires du Maroc, aiment notre pays. Quant aux Juifs marocains ou ayant des origines marocaines, qu’ils soient ou non Israéliens, le Maroc occupe une place à part dans leur cœur, ils ont pour la terre de leurs ancêtres une affection infinie, un amour passionnel et une loyauté à toute épreuve. Sans compter un respect et une grande admiration pour « Sidna ». Un membre de la Knesset, né à Casablanca, m’a dit en une occasion (en darija) : « Le Maroc est une terre sacrée, une couronne au-dessus de notre tête ». Ce ne sont pas des paroles en l’air, j’ai eu l’occasion de le vérifier plusieurs fois dans le cadre de mes fonctions. 

Des critiques ont été émises ici ou là, par quelques-uns, qui désapprouvent non pas la décision, mais l’Etat qui l’a prise. Les propos qui reviennent le plus souvent sur les réseaux sociaux, en laissant de côté les qualificatifs et les insultes dont Israël est affublé dans ces écrits, se résument grosso modo à ceci : « Nous n’avons pas besoin qu’Israël nous dise que notre Sahara est marocain » ; « C’est un abandon de la cause palestinienne ».

Corrigeons d’abord une erreur : Israël ne nous dit évidemment pas que notre Sahara est marocain, il annonce publiquement qu’il « reconnait » notre souveraineté sur ce territoire. La nuance est importante. Aux Nations Unies, c’est une voix de plus et tant que la question du Sahara est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale et du Comité des 24, toutes les voix comptent. S’il fallait refuser l’appui des Etats dont quelques activistes ou formations politiques minoritaires n’approuvent pas la politique, nous serions bien seuls. Dans les relations internationales, ce qui compte, ce n’est pas la forme du faitout ni la tête du cuisiner mais le mets final. Pragmatisme, réalisme ou cynisme, le débat n’a d’intérêt que pour les rêveurs. Au reste, si un pays se range à mes côtés, je n’ai pas à le juger. Si deux pays antagonistes me soutiennent, je n’ai pas à prendre parti dans leurs querelles.  « Mon pays d’abord », voilà la devise qui guide mon attitude.  

Quant aux Palestiniens, il faut distinguer entre leur cause et la relation avec Israël. Le Maroc n’a jamais failli à son devoir de solidarité avec le peuple palestinien, malgré les sorties de route de quelques responsables de l’autorité palestinienne auxquels il n’y a pas lieu de tenir rigueur. Le drame palestinien est présent dans les préoccupations de la diplomatie marocaine, une diplomatie agissante qui ne se nourrit pas de slogans.  Même les rares Etats arabes qui, pour des raisons de politique intérieure,  affectent des positions radicales et proclament leur soutien « indéfectible et inconditionnel » à la Palestine ont modéré leurs ardeurs. Ils approuvent la solution à deux Etats,  reconnaissant par la même occasion implicitement cet Etat qu’ils continuent en dépit du bon sens à qualifier d’« entité ». 

Face à ces pseudos champions de la cause palestinienne, l’action du Maroc, discrète et pragmatique, est plus efficace.

Israël prête l’oreille à ce que lui disent les Marocains. Et si Israël murmure à celle des Grands, tant mieux.

lundi 17 juillet 2023

Presse algérienne : L’aveuglement

 Un journal algérien a récemment publié un article qu’il a intitulé « Le régime marocain vend des illusions à son peuple sur le gazoduc [GME]».

Chiffres à l’appui, l’auteur s’est efforcé de donner à son texte un semblant d’objectivité et de valeur scientifique, pour débiter des contrevérités et mieux déverser son venin contre le Maroc.

1/ Qui a souffert de l’arrêt du gazoduc GME ?

La décision de fermeture du GME, qui a incontestablement tourné à l’avantage du Maroc, a été une grossière erreur. On peut même dire que c’est l’une des pires décisions du régime algérien de ces dernières années, même si le choix est difficile à ce niveau, tant les impairs diplomatiques d’Alger sont multiples. En fermant le gazoduc,

  •          L’Algérie s’est privée d’un moyen commode et disponible de fourniture de gaz à l’Espagne avec laquelle elle est liée par des engagements contractuels fermes. 
  • L’Algérie s’est brouillée politiquement avec l’Espagne.
  • L’Algérie a jeté le masque pour apparaitre au grand jour comme un pays dirigé par un « système » qui n’hésite pas à exercer le chantage économique sur ses partenaires en recourant à des pratiques mafieuses.
  •   L’Algérie a durablement ruiné son image internationale.

Quant au Maroc, même si la facture énergétique a augmenté, et pas seulement à cause de la fermeture du GME, on peut dire qu’à quelque chose malheur est bon. La leçon a été apprise et bien apprise et elle sera retenue. Le gaz, on le trouve partout. Il est préférable de le payer plus cher que de dépendre du bon vouloir d’un pouvoir dictatorial lunatique. Pour le plus grand désarroi de nos ennemis, qui nous prédisaient les pires tracas, le Marocain n’a pas été affecté dans sa vie quotidienne. Nous savions déjà « qui Dieu nous a donnés comme voisins ». Maintenant d’autres le savent aussi.

2/ Les objectifs sordides du régime algérien

En évoquant « les répercussions de la décision [algérienne] sur le marché intérieur marocain », qualifiées de « douloureuses », le journal avoue sans le vouloir ce que tout le monde sait déjà : les décisions du régime militaire algérien visent bien le peuple marocain.

3/ Les « actes hostiles », ou le conte à dormir debout

Le journaliste essaie de présenter les « sanctions » algériennes comme la réponse à de prétendus « actes hostiles » du Maroc. Alors que le gouvernement algérien n’a jamais précisé quels étaient ces fameux « actes hostiles », un journaliste ose (enfin) une indication, la toute première à notre connaissance. Rabat, selon lui, aurait « soutenu les mouvements terroristes et séparatistes », et « provoqué » l'Algérie « en s’alliant à l'entité sioniste pour frapper les intérêts algériens ».

-          « Soutien aux mouvements terroristes et séparatistes » : Faux. Le journal, comme les différents responsables algériens, lance une accusation sans apporter le moindre début de preuve. Si le Maroc entreprenait vraiment de soutenir le MAK, ce serait douloureux pour le régime algérien. Lorsque le représentant permanent du Maroc aux Nations Unies à New York a évoqué la Kabylie en juillet 2021 lors de la Conférence Ministérielle à mi-parcours du Mouvement des Pays Non-alignés, il ne faisait que rendre au ministre algérien Ramtane Lamamra la monnaie de sa pièce. En outre, il s’est borné à affirmer que « l’autodétermination n’est pas un principe à la carte. C’est pourquoi le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination. » L’Algérie, pour sa part, héberge sur son territoire un groupe armé qu’elle soutient, finance, arme et utilise pour agresser le Maroc. Qui soutient le terrorisme ?

-          La reprise des relations diplomatiques avec Israël est une décision souveraine sur laquelle le pouvoir algérien n’a pas à émettre de jugement. Libre à ceux qui souffrent du sentiment de persécution ou qui n’ont pas la conscience tranquille de voir des provocations partout.

      En réalité, il ne fait aucun doute que la mesure algérienne a été décidée de longue date, comme la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, dans un seul but : déstabiliser le Maroc et y  provoquer des troubles.

      4/ Une « opération militaire »

En Algérie, comme dans quelques rares autres pays, le mot d’ordre est clair : ce qui se passe entre  la Russie et l’Ukraine n’est pas une guerre, mais une simple « opération militaire ». Les journalistes appliquent scrupuleusement cette directive.

Ce suivisme à lui seul montre que le drame de ce pays et de sa presse est l’aveuglement, le refus de voir la réalité en face, auxquels s’ajoutent une mauvaise foi sans bornes et une suffisance fondée sur des slogans et des mythes sans réelle utilité pour le peuple algérien.  

samedi 8 juillet 2023

Sahara marocain : Trois mensonges

Certains, notamment en Espagne, continuent à affirmer que l’Espagne reste la puissance administrante du Sahara ex-espagnol.  En réalité, la responsabilité de l’Espagne a pris fin du jour où le dernier soldat espagnol a quitté le territoire suite aux accords de Madrid du 14 novembre 1975. Le 26 février 1976, la présence coloniale espagnole dans le territoire a définitivement pris fin, comme le gouvernement de l'Espagne en a informé le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (Lettre du 26 février 1975 -A/31/56 - S/11997).

Auparavant, le 19 novembre 1975 était promulguée la loi espagnole 40/1975 relative à la « décolonisation du Sahara ».


 On peut y lire : 

« L'État espagnol a exercé, en tant que Puissance administrante, la plénitude des compétences et des pouvoirs sur le territoire non autonome du Sahara, qui, pendant quelques années, a été soumis dans certains aspects de son administration à un régime particulier ayant des analogies avec le régime provincial et qui n'a jamais fait partie du territoire national.

« A la veille de l’achèvement du processus de décolonisation dudit territoire, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies, il y a lieu de promulguer la norme juridique appropriée pour mener à bien ce processus et qui habilite le gouvernement à prendre des mesures à cet effet. […]

« Article unique.- Le gouvernement est autorisé à réaliser les actes et à adopter les mesures nécessaires pour mener à bien la décolonisation du territoire non autonome du Sahara, en sauvegardant les intérêts espagnols ».

Il se trouve des juristes, espagnols, pour soutenir que l’Espagne, puissance coloniale, ne pouvait pas se dessaisir elle-même de ses responsabilités. Qui peut obliger l’Espagne à revenir sur sa décision et comment ce retour à une situation du passé sera-t-il concrètement mis en œuvre ?

Le gouvernement espagnol a, de fait, « mené à bien » la décolonisation du territoire. Ce dernier n’a pas été « abandonné », mais transféré à l’autorité d’une administration tripartite formée par les Etats qui ont plaidé devant la Cour Internationale de Justice, à savoir l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Après ce court intermède, le Maroc a récupéré son Sahara.

Le Sahara occidental n’a jamais cessé d’être marocain. Il s’agit donc de la rétrocession d’un territoire qui, à aucun moment, n’a constitué un Etat souverain et dont la population ne s’est jamais revendiquée comme un « peuple » distinct de celui du Maroc.

Le Maroc possède bel et bien des titres juridiques, dont les plus récents découlent précisément des accords de Madrid. Les dispositions de ces accords, notamment celles relatives au respect de la volonté des populations (article 3) et à l'information de l'ONU (article 4) ont été fidèlement appliquées. La Jemaā, assemblée représentative de la population du territoire, a approuvé les accords de Madrid au cours de sa réunion du 26 février 1976. D'autre part, l'Assemblée Générale de l'ONU a "pris acte de l'accord tripartite intervenu à Madrid entre les gouvernements espagnol, marocain et mauritanien, dont le texte a été transmis au Secrétaire Général de l'ONU le 18 Novembre 1975" (résolution 3458 B du 10/12/1975).

Cas « à part »

L’Espagne, disions-nous, n’est plus la puissance administrante du Sahara occidental. Sur le site du « Comité des 24 », aucun pays n’est mentionné comme puissance administrante de l’ancienne colonie espagnole, alors que le Royaume-Uni, les États-Unis, la France et la Nouvelle-Zélande figurent en tant que puissances administrantes des différents territoires non-autonomes. Pour la bonne raison que l’Espagne a renoncé à ce statut[1] alors que le Maroc, de son côté, estime, à juste titre, que le Sahara fait partie de son territoire. Le concept de « puissance administrante de facto » n’a pas de fondement juridique. 

Le Conseiller juridique de l’ONU Hans Corell, dans une lettre adressée au président du Conseil de sécurité en janvier 2002, ne disait pas autre chose: « le Maroc ne [figure] pas comme puissance administrante du territoire sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU » (S/2002/161). Dans le même document il est précisé que le Maroc ne communique pas de renseignements sur le territoire, alors que les puissances administrantes des autres territoires ont l’obligation de le faire, en vertu de l'alinéa e de l'Article 73 de la Charte des Nations Unies). 

Le fait que la « question du Sahara » soit inscrite à l’ordre du jour à la fois du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et du Comité des 24, situation inédite, prouve, si besoin en est, qu’il s’agit d’un cas « à part » , une question qui a été créé de toutes pièces et qui ne peut être cataloguée que comme un différend bilatéral entre le Maroc et un pays qui se dit non concerné, l’Algérie. En clair, le Sahara occidental a été décolonisé en 1975 et le plus sage serait de retirer cette question de l’ordre du jour de l’Assemblée générale et de sa Quatrième Commission.

Le reste relève du cadre général des relations bilatérales entre le Maroc et l’Algérie qu’il sera loisible, le moment venu, de traiter par les moyens appropriés.

Au Maroc, aucun flou ni ambigüité ne caractérisent le statut juridique des provinces du sud : c’est une partie du territoire marocain et, à ce titre, seule s’y exerce l’autorité souveraine du Maroc, à l’exclusion de toute autre.

Présence paisible

Qualifier le Maroc de « puissance occupante » est une autre affirmation mensongère qui ne s’appuie sur aucun élément concret. Le Conseil de sécurité, organe suprême des Nations unies, n’a jamais fait usage de ce langage. Les deux résolutions de l’Assemblée générale en1979 et en 1980 furent en quelque sorte un « accident », qui n’a plus jamais été renouvelé. Rappelons dans ce cadre que cette même assemble générale, en 1975, dans une action sans précédent, avait, sur la « question du Sahara », approuvé une double résolution, 3458 A et 3458 B, pour ne mécontenter personne. Dans la version B, comme déjà signalé plus haut, l’Assemblée générale « prend acte de l'accord tripartite intervenu à Madrid ».

Il suffit, au reste, de se promener dans les rues de n’importe quelle localité dans le sud du Maroc pour constater que la population vaque paisiblement et sans restriction à ses affaires. Les quelques uniformes visibles sont ceux des gardiens de la paix qui règlent la circulation aux carrefours les plus encombrés. 

Renégats stipendiés

En ce qui concerne la bande armée minoritaire de renégats stipendiés qui sévit dans les environs de Tindouf, en Algérie, prétendre que ce groupe est « l’unique et légitime représentant » des populations de Saguia el Hamra et Oued Eddahab, est un troisième mensonge. Cette affirmation est une offense aux habitants des provinces du sud, qui sont de loin majoritaires. La dictature du polisario est de plus en plus contestée par les otages des camps de Tindouf, qui ne supportent plus les conditions de vie misérables qui leur sont imposées dans des prisons à ciel ouvert. Sans compter les éléments dissidents qui ont publiquement exprimé leur désaccord avec le groupe de Tindouf, comme le Mouvement Sahraouis pour la paix. Le polisario ne représente que lui-même.  


[1] Une observation en marge précise : « Le 26 février 1976, le Représentant permanent de l'Espagne auprès de l'Organisation des Nations Unies a informé le Secrétaire général que le Gouvernement espagnol mettait, à compter de ce jour, définitivement fin à sa présence dans le territoire du Sahara et jugeait nécessaire d’indiquer que : [...] a) L'Espagne se considérait désormais dégagée de toute responsabilité de caractère international en ce qui concernait l'administration dudit territoire, en cessant de participer à l'administration provisoire qui y avait été mise en place [...] (voir A/31/56-S/11997) ».

samedi 1 juillet 2023

Vale la pena

Si « le Maroc voit de la faiblesse chez l'Espagne, c'est l'annonce de problèmes à court et moyen terme ». C’est un diplomate espagnol, Jorge Dezcallar, qui le dit (El Independiente, 17/06/23). Dezcallar est censé savoir de quoi il parle, il a été ambassadeur d’Espagne au Maroc (1997-2001). Aujourd’hui à la retraite, il continue à s’intéresser au Maroc, pays pour lequel il dit éprouver de l'affection et où il a de très bons amis, après y avoir passé « des années très intenses et heureuses ».

En 2017, il a publié dans plusieurs journaux une chronique intitulée « Le Rif proteste ».  On peut y lire, notamment :

  •      « Les Rifains sont islamisés mais ils ne sont pas arabes et ils désignent avec mépris les habitants de Casablanca ou de Marrakech comme « ces noirs du sud » (sic). Je peux, pour avoir vécu à Al Hoceima, témoigner qu’il n’en est rien. Dans le meilleur des cas, J. Dezcallar généralise à partir d’un cas isolé. Les habitants du nord du Maroc, en particulier à Tanger, se référent au reste du pays comme « Eddakhil », l’intérieur du pays, et à leurs compatriotes comme « Nass eddakhil ».
  • « Le peuple du Rif s'est toujours rebellé contre tous ceux qui ont tenté de le dominer… même les Marocains de Rabat » (resic). Qui peuvent bien être ces « Marocains de Rabat », Dezcallar ne le dit pas.

Après quelques vaticinations sur une éventuelle extension des protestations au reste du pays, Dezcallar indique que « les Rifains se méfient des islamistes et ces derniers se méfient des Rifains ». L’auteur ne dit pas de qui se méfient les Rifains islamistes. Il termine par les inévitables conseils sur la meilleure manière de gérer le Maroc, car, évidemment, il y va de « l’intérêt de l’Espagne ».

Revenons à la déclaration à El Independiente mentionnée au début de ce texte. M. Dezcallar voit le Marocain, au choix, comme un être roublard dont il faut se méfier à tout prix, ou comme un félin prêt à bondir sur sa proie au moindre signe de faiblesse. Le Maroc ne croirait donc pas à un autre langage que celui du rapport de forces. Vision réductrice, inattendue et surprenante chez un diplomate chevronné, doublé d’un homme du renseignement (ancien directeur du CESID, aujourd’hui CNI, le service espagnol d’espionnage).

En 2002, des diplomates et des espions espagnols particulièrement sagaces ont cru que l’envoi de quelques mokhaznis sur le rocher de Taoura (Perejil) était en réalité le prélude à une invasion de Sebta, une « nouvelle marche verte » ont-ils dit. Je ne résiste pas à l’envie de reprendre à mon compte un passage dans le livre de M. Dezcallar : « il me semble parfois incroyable que nos voisins nous connaissent si peu ».  

Si, aujourd’hui, les diplomates et les espions espagnols pensent toujours de cette façon, l’Espagne et le Maroc ont du souci à se faire.  

Les idées très « vieille Espagne » et très belliqueuses de l’ancien président JM Aznar, dont l’arrogance et le style cassant ont tant nui aux relations entre les deux pays, semblent avoir eu de l'influence, même sur ceux qui ne partagent pas ses idées politiques. Le récit, côté espagnol, de l’épisode du Perejil est consternant.

J. Dezcallar, qui était le patron du CESID à l’époque des faits, reconnait que l’ilot n'est pas inclus dans les limites territoriales de Sebta, mais il n’en pense pas moins que le statut de Taoura est « ambigu ». Or, il ne l’est pas, et les responsables espagnols le savent parfaitement. « Perejil » n’a jamais été un territoire espagnol, il existe suffisamment de littérature à ce sujet, y compris d’historiens et de cartographes espagnols. Ce qui n’empêche pas l’ancien ambassadeur de prétendre que son pays a été « agressé ». Quelle meilleure réponse lui donner que la célèbre déclaration du ministre français des affaires étrangères, Michel Jobert, en 1973, à propos de la guerre d’Octobre : « est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression imprévue? » Le Maroc n’a pas envahi un territoire étranger, n’a « agressé » personne. Le Maroc n’a pas mobilisé son armée, il a envoyé sur une ile qui lui appartient, pour des raisons qui ne regardent que lui, un détachement d’agents des forces auxiliaires faiblement armés. Dezcallar pense que c’était une « provocation », qui méritait une réponse appropriée, pour ne pas envoyer « à nos amis marocains un signal d'indifférence qui les aurait conduits à se tromper de manière plus grave et avec des conséquences potentiellement beaucoup plus graves dans un avenir proche ». Ahurissant.

Résultat : Branlebas de combat, grand bombage de torse avec déploiement de forces aéronavales et noria de bâtiments de guerre et d’aéronefs dans la baie de Sebta. « Opération militaire impeccable dans sa conception et son exécution » écrit fièrement Dezcallar, qui, d’une salle d’opérations, a suivi en vivo directo la « reconquête » de Taoura. Le testament d’Isabelle la Catholique a dû résonner aux oreilles de certains, qui se sont vus en de nouveaux Leopoldo O'Donnell, « duque de Tetuan ». Toute une armada mobilisée pour déloger trois braves tondus et un pelé, qui dormaient du sommeil du juste avant d’être réveillés par le bruit de l’hélicoptère des intrépides commandos de marine espagnols grimés et armés jusqu’aux dents, qui ont courageusement sauté sur le rocher. Une véritable pitrerie, una payasada. Ce jour-là, l’Espagne s’est donnée en spectacle de bon matin, « a l'alba, y con un fuerte Levante»  (à l'aube, et avec un fort vent d’est), selon le ministre de la défense Federico Trillo. 

Face à un Aznar va-t-en-guerre et mal conseillé, le Maroc a su garder son calme. Heureusement pour le gouvernement espagnol, la diplomatie américaine l’a tiré d’un mauvais pas, lui épargnant de sombrer encore plus dans le ridicule.

Vingt ans plus tard, J. Dezcallar désapprouve la décision du président Pedro Sanchez de reconnaitre la primauté du plan d’autonomie marocain pour le Sahara. Il estime que c’est une erreur d’avoir renoncé au parapluie de l’ONU pour se mettre à découvert, « là où il pleut beaucoup », c’est-à-dire, selon lui, au milieu de la bataille que se livrent le Maroc et l'Algérie. L’Espagne, dit Dezcallar, était jusque-là « à l'aise ». Il aurait voulu que son gouvernement reste dans ce que nous appelons au Maroc sa « zone de confort », à équidistance des deux protagonistes et qu’il contemple en spectateur le match en comptant les coups. Un match dont on ne voit pas l’issue à court ou moyen terme, avec pour résultat le maintien d’un foyer de tension plein de risques à quelques kilomètres de la péninsule et la prolongation du calvaire des otages de Tindouf.

M. Pedro Sanchez  a, de toute évidence, voulu rompre avec la pusillanimité des diplomates et des politiques frileux emmitouflés dans un cocon douillet. Le président, en grand homme politique, a pris une décision forte, audacieuse. Il l’a fait en sachant que, précisément parce que l’Espagne accorde la priorité à une bonne relation avec le Maroc et qu’elle souhaite que la stabilité de ce voisin soit assurée, Madrid devait agir. Je salue de nouveau le courage de M. Sanchez, dont le geste lui a valu bien des avanies et dont il faut espérer qu’un jour l’histoire lui rendra justice. Ce sont des gestes de cette nature qui peuvent contribuer à briser le mur d’incompréhension ou, comme l’écrivait Dezcallar dans ses mémoires (Valió la pena, 2015), le « manque de confiance réciproque » entre le Maroc et l’Espagne. Il listait les griefs respectifs des deux parties, pour conclure que, du côté espagnol, existe la perception que « les Marocains ne sont pas dignes de confiance et que, du Maroc, peuvent venir et, de fait, viennent, des problèmes». La perception qui existe au Maroc est bien plus nuancée: « De l’Espagne peut venir le bien, de l’Espagne peut venir le mal ».

A El Independiente,  Jorge Dezcallar déclare que « tout le commerce espagnol a été perdu » en Algérie, où « on nous traite de "traîtres, canailles ou scélérats" ». A aucun moment, le diplomate vétéran ne s’indigne des insultes algériennes. A aucun moment, il ne met en cause l’Algérie, ni ne s’interroge sur la légitimité de la réaction disproportionnée de ce pays à une décision espagnole souveraine dans une question qui ne regarde pas l’Algérie.  « Le gouvernement espagnol n’a pris aucune décision qui affecte l’Algérie », a précisé pour sa part le ministre espagnol des affaires étrangères José Manuel Albares, qui a ajouté « L'Espagne veut avoir des relations avec l'Algérie basées sur l'amitié, mais aussi sur le respect mutuel, sur l'égalité souveraine des Etats et sur la non-ingérence dans les affaires intérieures ». M. Dezcallar aurait pu rappeler ces quelques principes. Au lieu de cela, il s’est borné à avertir qu’il n’est pas « bon de se battre avec […] une grande puissance énergétique [l'Algérie]. Cela aura un coût ». Cette attitude porte un nom, mais la courtoisie interdit de l’employer. Notons simplement le double langage : cette faiblesse que J. Dezcallar ne veut pas montrer au Maroc, il n’hésite pas à l’étaler devant la soi-disant « puissance énergétique ».  

Le passage le plus outrancier de l’interview est celui où Dezcallar acquiesce à la question de savoir si le climat qui prévaut aujourd'hui au Maroc est à « la jubilation ». L’ancien ambassadeur avoue que ce qui « [l'inquiète] le plus, c'est qu'au Maroc, ils sont satisfaits jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus » alors qu’en Algérie, « ils sont énervés jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus ».  Enervés au point d’éructer, de menacer et de sanctionner ?! Et c’est le Maroc qui est accusé de ne croire qu’au langage de la force. Le ministre Albares a répondu fermement aux excès algériens, dans les limites de la bienséance et du langage diplomatique. Qu’est-ce qui a empêché les diplomates vétérans de dire à Alger quelques vérités?

Le « Moro » roublard a roulé l’Espagne dans la farine et la « puissance énergétique » qui-n’est-pas-partie-au-différend-sur-le-Sahara n’est pas contente. L’analyse est un peu courte.

Dezcallar regrette le temps où « nous étions très à l'aise. Nous avions une relation forte. Avec [Miguel Angel] Moratinos, nous avons inventé la théorie du matelas d'intérêts dans la relation avec le Maroc et l'Algérie ». Matelas, qui, soit dit en passant, n’a servi à rien, ni avec le Maroc au moment de la crise qui a suivi l’accueil de Brahim Ghali en Espagne, ni avec l’Algérie qui a rappelé son ambassadeur à Madrid, suspendu le Traité d’amitié et interdit tout commerce avec l’Espagne. N’est-ce pas la preuve que le régime algérien est le véritable problème ? Pedro Sanchez l’a bien compris, alors que certains en Espagne continuent malheureusement à nourrir quantité de préjugés et de clichés quand il s’agit du Maroc.

Dezcallar, dans ses mémoires, affirme que « le développement économique espagnol crée un véritable complexe chez le Marocain, qui voit se transformer en nouveaux riches ceux qui , il y a quelques années à peine étaient dans une situation similaire à la sienne ». Totalement faux. D’ailleurs, il rectifie lui-même tout de suite : « Aujourd'hui, cette perception a changé : la crise économique de 2008 a fait que les Marocains nous voient différemment, plus proches, plus vulnérables, moins riches ». Mieux, de nombreux Espagnols, comme autrefois, ont émigré au Maroc pour trouver un emploi. Beaucoup de Marocains voient dans le modèle espagnol réussi un exemple à suivre. Il ne faut pas voir de l’envie là où il n’y en a pas. 

Inexacte aussi la croyance qu’au sud du détroit, on pense que « l'Espagne ne veut pas que le Maroc relève la tête, que nous préférons le voir avec des problèmes au Sahara pour qu'il ne complique pas la vie à Ceuta et Melilla ». La meilleure réponse à cette affirmation est la décision du président Sanchez. Quant à Sebta, Melilla et les iles, il faudrait arrêter de s’exciter sans raison. Bien que je ne sois pas une source officielle autorisée, la revendication marocaine est sur la table et elle y restera le temps qu’il faut, sans gesticulation, le Maroc n’étant pas un adepte du bruit et de la fureur.

L’ambassadeur Dezcallar admet le peu d’intérêt de la majorité de ses compatriotes pour la culture et la langue du Maroc. Il dit : « ils ne savent pas qui était al-Moutamid et n’ont pas lu El collar de la paloma » [Le collier de la colombe, d’Ibn Hazm]. Lorsqu’il s’agit de diplomates envoyés au Maroc, cette ignorance est encore plus regrettable et totalement impardonnable. Il existe probablement des diplomates espagnols  parlant l’arabe, mais je n’en ai jamais connu à Rabat, alors que nous, Marocains, sommes des milliers à parler l’espagnol et nos diplomates en Espagne sont en majorité hispanophones. La réponse du regretté Hassan II à un journaliste français peut être transposée à l’Espagne : « On vous connaît mieux que vous ne nous connaissez.[…] On connaît donc votre grammaire, on connaît votre langue, on connaît votre histoire, on connaît votre société. Vous ne connaissez rien de nous » (France 2, 3 mai 1996). 

Le jour où les diplomates espagnols à Rabat parleront l’arabe ou la darija et comprendront réellement le Maroc, ils surmonteront mieux le mur de l’incompréhension et de la méfiance que certains parmi leurs compatriotes ont dressé. Avec un peu de chance, ils ne confondront pas Amir al-Mouminine et Sultan al-Mouminine, et ne se laisseront pas aller à des plaisanteries douteuses à propos de l’ilot « Leila ». Ils éviteront les remarques désobligeantes, du genre « Así se hacen allí las cosas » (C’est comme ça que se font les choses là-bas) ou « en Marruecos las sorpresas se producían cuando uno menos lo esperaba » (au Maroc les surprises se produisaient quand on s'y attendait le moins). Ces piques rappellent trop les propos ethnocentriques offensants de certains envoyés diplomatiques guindés au Maroc autrefois, parmi lesquels des Espagnols.

L’Espagne a eu raison de quitter le Sahara en 1975 et l’Espagne a eu raison de faire en 2022 le choix du réalisme. Elle a certes donné un sérieux coup de main au Maroc mais ce faisant,  elle a préservé ses intérêts stratégiques. C'est un motif de satisfaction pour les deux pays.

Aux diplomates des deux pays de réfléchir à une feuille de route pour renforcer durablement le « matelas d’intérêts », qui a été passablement troué. En prévision de toute éventualité et, pour parler comme Dezcallar, parce qu’il y va de l’intérêt de l’Espagne, il faut d’ores et déjà imaginer un nouveau partenariat en matière de pêche, secteur vital pour l’Espagne. 

Vale la pena.