Un « mécanisme africain » pourquoi faire ?
23 juillet 2018
Chargé en juillet 2017 par l’Union africaine (UA) de mener des consultations sur la question du Sahara (Assembly/AU/Dec.653(XXIX), le président de la commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a visité la région en mars et en juin 2018. Auparavant, il avait rencontré Horst Köhler, envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies.Au Maroc, les responsables qui ont reçu Faki, sans exclure totalement un rôle pour l’UA, ont réaffirmé au président de la commission de l’UA « le rôle central des Nations unies dans la conduite du processus de négociation » et mis en garde contre un processus parallèle. Ils ont insisté sur la nécessité de « l’implication effective » de l’Algérie pour la recherche d’une solution et ont rappelé l’offre d’autonomie sur la base de l’Initiative présentée par le Maroc au Conseil de sécurité en avril 2007.
L’Algérie, comme à son habitude, n’a pas voulu s’engager, se contentant de réaffirmer son soi-disant attachement au principe de l’autodétermination.
A l’issue de ses consultations, Faki a soumis un rapport (Doc. Assembly/AU/4-XXXI) aux chefs d’Etat et de gouvernement africains, qui l’ont examiné lors de la 31ème réunion de l’UA, à Nouakchott et ont adopté la décision Assembly/AU/Draft/Dec.4-XXXI .
Cette décision a, dans l’ensemble, suivi les recommandations du président de la commission. Dans ce cadre, l’UA a décidé d'établir un « mécanisme africain », qui sera composé de la Troïka de l’UA (président actuel de l’Union, son prédécesseur et son successeur) et du président de sa commission.
Le Maroc a eu gain de cause sur trois points décisifs :
• La primauté reste à l’organisation des Nations unies et à son conseil de sécurité. La démarche de l’UA s’inscrit dans le cadre d’un appui aux efforts des Nations unies, sans création d’un processus parallèle.
• La formule de la Troïka qui a été retenue est celle qui recèle le moins de risques pour notre pays. Dans son rapport, le président de la commission avait, en effet, soumis deux autres propositions : réactivation du Comité ad hoc des chefs d’État et de gouvernement établi à Khartoum, en juillet 1978, ou établissement d’une Délégation de haut niveau composée du Président de l’Union et du Président de la Commission). Notons que le président actuel de l’Union est Paul Kagamé (Rwanda) et son prédécesseur est Alpha Condé, président de la Guinée.
• La question du Sahara ne sera abordée qu’au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, y compris au sein du Conseil de paix et sécurité (CPS). En effet, la Troïka doit faire rapport « sur l'exécution de son mandat à la Conférence de l'Union et, en tant que de besoin, au Conseil de paix et de sécurité au niveau des chefs d'État et de Gouvernement ». Il est précisé que « la question du Sahara occidental ne sera abordée que dans ce cadre et à ce niveau ». C’est, en vérité, un rétablissement de la situation telle qu’elle prévalait au sommet de l’OUA à Khartoum, en 1978, lorsque la décision avait été prise de traiter de la question du Sahara au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. En février 1981, le Secrétaire général de l’OUA, Edem Kodjo, s’était déclaré « incompétent » sur la question de « l’admission de la rasd » à l’OUA en faisant valoir que cette question était du ressort des chefs d’Etat. Il devait, comme on sait, se renier dès l’année suivante et autoriser en toute illégalité une délégation de la rasd à prendre place dans la salle des réunions de l’organisation africaine.
Le CPS, quant à lui, est devenu au cours des dernières années une arme aux mains de son président, l’Algérien Smaïl Chergui, dont le mandat court jusqu’à 2020. Chergui a mené une politique anti-marocaine systématique, en se servant habilement du CPS. C’est dans le CPS, au niveau des représentants permanents et en l’absence des délégués du Maroc, qu’ont été conçues toutes les décisions hostiles à notre pays. Désormais, ce conseil ne pourra plus traiter de la question du Sahara aux niveaux des ambassadeurs et des ministres. Est-il neutralisé pour autant ?
Mission du « mécanisme africain »
Le mécanisme africain doit « apporter un soutien efficace aux efforts conduits par les Nations unies, et ce
• en encourageant les parties à faire preuve de flexibilité,
• en mobilisant un appui aussi large que possible aux efforts que mènent les Nations unies ».
C’est donc, en apparence, une mission d’appui et d’accompagnement qui est dévolue à la Troïka. « Soutenir », « appuyer », « encourager », voilà, en gros, ce qui est demandé à la Troïka. Pour autant, que signifie concrètement « encourager les parties à faire preuve de flexibilité » et « mobiliser un appui aussi large que possible aux efforts que mènent les Nations unies » ? Si les mots ont un sens, cela revient à dire que l’UA fera pression sur « les parties », ou sur l’une d’entre elles. Quelle est la portée réelle de l’appel lancé « à tous les États membres de l'UA, en particulier les pays voisins, pour qu’ils soutiennent les efforts conduits par les Nations unies » ? Comme si les Etats africains, tous sans exception, ne soutenaient pas les efforts des Nations unies.
Faut-il croire que c’est une décision vide de sens, sans réelle portée pratique, destinée à donner l’impression que les choses bougent, que l’UA s’active, ou est-ce en réalité un cheval de Troie pour se réintroduire dans le processus de règlement du différend ? Et si, pressé par les adversaires du Maroc, Faki n’a rien trouvé de mieux à leur proposer que ce « mécanisme » ?
Au sein du « mécanisme », le président de la commission jouera un rôle déterminant car c’est sur ses épaules que reposera l’essentiel de la tâche. C’est lui qui devra préparer les documents de travail et concevoir une feuille de route à soumettre aux trois présidents. Il s’appuiera, pour ce faire, sur le secrétariat de l’UA, sur ses conseillers et sur … le CPS, encore lui.
Si l’on n’y prend garde, les propositions hostiles du CPS, qui empruntaient auparavant le circuit normal pour aboutir sur la table des chefs d’Etat et de gouvernement, seront dorénavant directement soumises à trois d’entre eux. D’autre part, les démarches de la Troïka auprès de l’organisation des Nations unies, qui ont déjà commencé, pourraient déborder le cadre d’un simple accompagnement . Le mécanisme, il faut le relever, a aussi pour mission de « [réfléchir], en étroite consultation avec les Nations unies, sur le contenu du compromis souhaité ». Il s’agit ici d’une démarche qui va au-delà du simple appui. Réfléchir veut dire prendre des initiatives et faire des propositions.
Fausse bonne idée
Dès lors, le « mécanisme » a toutes les apparences d’une fausse bonne idée. Le Maroc en a accepté la création sans enthousiasme excessif, tant est totale la conviction à Rabat que l’UA, tant qu’elle continuera à abriter en son sein un enfant illégitime, fera partie non de la solution, mais du problème. La solution de la question du Sahara, en tout état de cause, on l’a dit et répété, ne se trouve pas à Addis-Abeba. Pourquoi alors, pour reprendre une formule célèbre, s’obstiner à vouloir « chercher un chat noir dans une pièce obscure ». Surtout lorsqu’il ne s’y trouve pas, est-on tenté d’ajouter.
Dans cette affaire, on ne peut créditer le gouvernement algérien d’aucune bonne foi. Peu lui importe que la question soit réglée, à court ou long terme. L’essentiel, pour Alger, est que le Maroc soit malmené. Et l’appareil algérien ne laisse rien au hasard. Prenons le dernier exemple, la décision 4-XXXI que nous évoquions plus haut. Ses auteurs, lorsqu’ils parlent des consultations qui ont été conduites par le président de la commission de l’UA dans la région en mars 2018, opèrent à dessein une distinction entre les consultations qui ont été menées « avec les autorités marocaines et sahraouies » et celles qui ont eu lieu « avec d'autres parties prenantes, notamment les pays voisins et les Nations unies ». L’Algérie ne veut toujours pas assumer ses responsabilités et continue de se cacher derrière le statut de confort de simple « partie prenante ». L’UA et son CPS devront bien un jour admettre que l’Algérie est bel et bien une partie directement et profondément impliquée dans le différend.
Au passage, la même décision demande « la réactivation » du Bureau de l'UA auprès de la MINURSO, qui, on s’en souviendra, fut fermé en mars 2016 à la demande du Maroc et ses occupants invités à quitter le pays en même temps que plusieurs membres du personnel civil international de la MINURSO. Pour l’heure, rien ne justifie le retour des représentants de l’UA à Laayoune.
Enfin, les chefs d’Etat et de gouvernement, suivant les recommandations du président de la commission, expriment leur détermination à faire en sorte que « la mise en œuvre de l’agenda de l’UA » ne soit pas « entravée » par la question du Sahara. Cette mise en garde se veut une épée de Damoclès dont l’UA n’hésitera pas, le moment venu, à faire usage pour montrer du doigt la partie qui, selon elle, bloque ou entrave le bon fonctionnement de l’UA.
Tôt ou tard, le Maroc n’aura d’autre choix que de poser la question du statut de la rasd et sa présence au sein de l’UA. Les Etats membres ne pourront pas éternellement esquiver ce débat. Aussi délicate soit elle, la question devra être tranchée. C’est à ce prix que l’organisation africaine pourra, enfin, mobiliser toutes les potentialités africaines et mettre en œuvre son agenda au service du développement du continent.
23 juillet 2018
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1- Le document auquel nous avons eu accès est un projet, le texte officiel de la décision qui a été adoptée n’ayant pas encore été publié par l’Union africaine. On peut cependant penser que le projet n’a pas été fondamentalement modifié.
2-Selon un communiqué de l’UA, le 9 juillet 2018, au cours de la deuxième Conférence annuelle UA-ONU à Addis-Abeba, le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki, a informé le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres de la création d’un mécanisme africain concernant la question du Sahara. Le communiqué ajoute que « L'UA attend avec intérêt de travailler en étroite collaboration avec l'ONU » sur cette question.
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