samedi 11 mai 2019

Le Maroc et l’Union africaine



C’est désormais chose faite : Le Maroc a exprimé la volonté de reprendre sa place « légitime et naturelle » au sein de sa famille institutionnelle. La décision royale a tranché dans un débat qui, longtemps, a opposé partisans et adversaires d’un « retour » du Maroc à l’organisation africaine. Il a été dit que le Maroc avait commis une erreur en quittant l’OUA en 1984.  C’est ignorer l’état du rapport de forces en Afrique à l’époque et le dilemme auquel était confronté le Maroc : accepter le fait accompli ou prendre une décision déchirante en attendant des jours meilleurs. La décision de partir, d’une exceptionnelle gravité, a été prise en la forme la plus solennelle. A cet acte responsable, vient de répondre en écho, 32 ans plus tard,  un acte non moins courageux. Le Maroc a eu raison de quitter l’OUA en 1984 ; il a raison en 2016 de vouloir adhérer à l’Union africaine (UA). Les circonstances ont changé, le Maroc est en meilleure position et le processus de règlement de la question a évolué.
Le Maroc s’est-il réellement engagé à réintégrer l’organisation africaine « sans conditions préalables », comme il a été avancé par certains ? Il est permis d’en douter. Des assurances ont vraisemblablement été données à la partie marocaine, sans lesquelles on imagine mal un saut dans l’inconnu. L’avenir le dira. Mais siéger dans la même salle que la « rasd » semble totalement exclu. En tout état de cause, le roi Mohammed VI l’a martelé dans le discours du Trône (2016), la décision d’adhérer à l’UA « ne signifie en aucune manière le renoncement du Maroc à ses droits légitimes, ou la reconnaissance d’une entité fictive ».

A l’UA, le Maroc s’emploiera à œuvrer pour que l’organisation africaine se débarrasse des « fardeaux d’une erreur historique et d’un legs encombrant », seul moyen pour mettre fin à son « déphasage avec la position nationale de ses propres Etats membres » et à son « total décalage avec l’évolution de la question du Sahara au niveau des Nations Unies ». L’UA devra retrouver une neutralité qu’elle a perdue, pour « contribuer d’une manière constructive à l’émergence » d’une solution à la question du Sahara. Sur cette question,  les griefs du Maroc ont été clairement énoncés par le roi: la défunte OUA s’est rendu coupable d’un « coup d’Etat contre la légalité internationale ». 
En réinvestissant la place qui est la sienne à l’organisation africaine, le Maroc entend à la fois renforcer la coopération sud-sud et « conforter sa position en tant qu’élément de sécurité et de stabilité, et en tant qu’acteur œuvrant en faveur du développement humain et de la solidarité africaine ». Egalement, et surtout, il remettra en marche les pendules qui s’étaient arrêtées le 12 novembre 1984.  Ce sera, certes, une nouvelle page, un nouveau départ, mais ce sera fondamentalement la reprise, au point où il se trouvait en 1984, d’un processus qui a été brutalement interrompu par le coup de force d’Edem Kodjo et la sortie subséquente du Maroc de l’OUA. Reprise assortie, bien entendu, d’une mise à jour à la lumière de l’évolution qu’a connue la question aux Nations Unies. Des retrouvailles après une longue brouille, pour le meilleur et pour le pire pourrait-on dire. Quoi qu’il en soit, c’est en Afrique que cette question doit trouver son dénouement. Aussi est-ce une bataille décisive, une grande bataille qui s’annonce, - si elle n’a déjà commencé.

Le Maroc peut sans doute compter sur un noyau dur d’amis fidèles, en premier lieu ceux qui l’ont pressé de reprendre sa place à Addis. Pour  le reste, il  nous  appartiendra d’être persuasifs, et nous avons des arguments. Plusieurs diplomates rechignent à siéger aux côtés des représentants d’un pseudo-Etat qu’ils ne reconnaissent pas. Il y a des pays qui, tout en ayant reconnu la « rasd », sont bien disposés à notre égard. Des délégués sont mal à l’aise devant cette « république » autoproclamée qui, au gré des circonstances, change de nom pour réclamer l’autodétermination.

Comment faire sortir de l’UA une entité qui y a été admise par effraction ? On le sait, l’expulsion d’un Etat membre n’est pas prévue par l’Acte constitutif de l’UA. La suspension n’est possible qu’en cas « d’accès au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels »  (Article 30). Le retrait plus ou moins volontaire de la « rasd », comme ce fut le cas en 1983, reste théoriquement possible (article 31). Cependant, aux grands maux les grands remèdes, il faudra faire preuve d’audace et surprendre davantage nos adversaires. D’ores et déjà, il y a lieu de tirer les leçons de Kigali et s’efforcer d’aller au-delà d’une simple motion. Si l’appui du Ghana est à saluer, le silence de quelques pays ne reconnaissant pas la « rasd » soulève des questions. Une réunion extraordinaire au sommet serait appropriée, ce qui, en définitive, serait un juste retour des choses dès lors que la question du Sahara était et devrait rester du ressort de la Conférence des chefs d’Etat. Celle-ci, souveraine, pourrait décider de charger un Comité des Sages de proposer des scenarii, mais il est impératif d’impliquer, en amont, les « poids lourds » du camp adverse : Afrique du Sud, Angola, Nigéria, Namibie. L’Afrique du Sud, surtout, peut jouer un rôle primordial, à la mesure de son poids sur le continent. Il faudra reprendre langue avec ce pays et l’associer au processus. Ensuite, et ensuite seulement, tout sera possible, y compris la mise en œuvre d’une procédure d’exception seule à même de rétablir la légalité à l’UA et le Maroc dans ses droits.
C’est dire que les mois qui nous séparent de la prochaine réunion de l’UA, en janvier 2017, seront cruciaux et pleins de défis pour la diplomatie marocaine, qui sera appelée à se surpasser. La vigilance devra rester de mise car une manœuvre du régime algérien n’est pas à exclure.  Après une longue absence de l’organisation africaine, il conviendrait de faire appel aux diplomates les plus chevronnés pour mettre sur pied une cellule spéciale « Union africaine » au ministère des affaires étrangères et renforcer l’ambassade du Maroc à Addis-Abeba en moyens humains et matériels. A moyen terme, il s’agira de recréer un corps de spécialistes de l’Afrique, diplomates de terrain, des « Africains » - comme il en existait dans le passé, familiers du style, des méthodes et des arcanes de l’UA.  

L’Afrique aura besoin de tout le savoir-faire de ses diplomates dans cette phase qui commence pour effacer la faute qui a été commise par l’OUA tout en modérant l’ardeur de ceux qui, dans leur hostilité au Maroc, sont prêts à tout et ne reculent devant rien.

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