Au cœur de la médina de Tanger, rue Siyaghine, les passants prêtent à
peine attention à un édifice voisin de l’église de l’Immaculée
Conception. Le contraste est frappant entre l’aspect de la mission
catholique espagnole, fraichement repeinte, et celui, délabré, du
bâtiment anonyme. C’est pourtant un haut lieu de la diplomatie marocaine
d’antan, l’ancêtre du ministère des affaires étrangères actuel. C’était
le siège de Dar Niyaba Saïda, qui abritait les bureaux du délégué du
sultan auprès du corps diplomatique étranger, Naib Essoultane (1). Dar
Niyaba a fonctionné de 1851 à 1912, et a été dirigée successivement par
Mohamed El Khatib (1851-1860), M’hamed Bargache (1860-1883), Larbi
Torrès (1883-1907), Mohamed El Guebbas (1907-1912), avec un court
intermède d’Abdeslam Tazi.
Naïb Essoultane était l’interlocuteur des diplomates étrangers et Dar Niyaba était le canal obligé par lequel devaient passer les notes diplomatiques. Alors que les consuls pouvaient être nommés dans toute ville côtière, les ministres, chefs de légation, devaient obligatoirement résider à Tanger. Plusieurs explications ont été avancées sur les raisons du « confinement » des représentants étrangers dans une ville éloignée de la capitale politique, qui, selon le moment et l’époque, pouvait être Fès, Marrakech, Meknès, voire Rabat. Etait-ce pour les éloigner de la Cour du sultan et décourager leurs démarches, qui étaient fréquentes ? Il est vrai qu’une réclamation qui était d'abord soigneusement étudiée et commentée par le Naïb avant d'être envoyée au sultan, qui la recevait après quatre à cinq jours ( le temps moyen que mettaient les raqqas (courriers) pour parcourir à pied la distance de Tanger à Fès), perdait beaucoup de son acuité. Plusieurs diplomates déploraient de n’avoir pas de contact direct avec la Cour du sultan. A leurs yeux, le Naïb n’avait aucun pouvoir de décision et Dar Niyaba n’avait d’autre but que de temporiser. On a pu aussi dire qu’à Tanger, les diplomates étaient relativement plus en sécurité qu’à l’intérieur du pays, où les étrangers étaient exposés aux agressions. Il y a probablement une part de vérité dans les deux théories, mais il est certain que le choix de la ville du Détroit s’expliquait à la fois par sa proximité géographique à l’Europe, par la disponibilité de certaines commodités et par le caractère cosmopolite de sa population, habituée plus qu’ailleurs au Maroc à frayer avec les « chrétiens », notamment les Espagnols et, dans une moindre mesure, les Britanniques de Gibraltar.
C’est ainsi que Tanger fut érigée en « capitale diplomatique » du Maroc, distincte des capitales politiques traditionnelles, une situation exceptionnelle peu fréquente (2), prélude au statut spécial qui sera attribué à la ville plus tard. Il y manquait un ministère des affaires étrangères, qui n’existait pas dans le gouvernement marocain jusqu’à la fin du XIXème siècle ; Dar Niyaba en tint lieu. Quelques auteurs donnèrent au Naïb, à tort, le titre de ministre des affaires étrangères.
Des légations s’installèrent à proximité de Dar Niyaba : Angleterre, Suède, Espagne, Portugal, France, Italie, et plus tard Etats-Unis, Allemagne…
Le premier ministre des affaires étrangères dans l’histoire du Maroc, Mohamed M’Feddal Gharrit, fut nommé par Moulay Hassan en 1885 et prit le titre de « Ouazir el Omor el Barraniya ». Néanmoins Dar Niyaba non seulement subsista, mais son personnel s’étoffa et se spécialisa progressivement, en particulier après la réforme qui fut décidée par le sultan Moulay Abdelaziz en 1900, pour faire face à la multiplication et à la complexité des questions diplomatiques. Les diplomates marocains s’acquittèrent de leur mission dans des conditions difficiles, le plus souvent en subissant des évènements sur lesquels ils n’avaient aucune prise. Assailli par les ministres étrangers, qui le submergeaient de réclamations de tous ordres, le Naïb se débattait avec les problèmes, parfois inextricables, causés par le système de la protection. El Khatib fut confronté à la guerre de Tétouan, Bargache représenta le Maroc à la conférence de Madrid (1888) sur la protection, et Torrès présida la délégation marocaine à la conférence d’Algésiras, en 1906.
Le protectorat français mit fin à l’institution de Dar Niyaba.
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(1) à ne pas confondre avec le Mendoub, qui officiait à la Mendoubiya, et qui était également délégué du sultan, mais auprès des puissances administrantes de Tanger, à l’époque où la ville avait un statut international (de 1923 à 1957, avec une interruption entre 1940 et 1945).
(2) Auparavant, seule la Chine avait une capitale diplomatique, Shanghai, tandis que Pékin était la capitale politique. Au XXème siècle, la capitale diplomatique de l’Arabie Saoudite, jusqu’en 1982, sera Djeddah, Ryad étant la capitale politique).
Naïb Essoultane était l’interlocuteur des diplomates étrangers et Dar Niyaba était le canal obligé par lequel devaient passer les notes diplomatiques. Alors que les consuls pouvaient être nommés dans toute ville côtière, les ministres, chefs de légation, devaient obligatoirement résider à Tanger. Plusieurs explications ont été avancées sur les raisons du « confinement » des représentants étrangers dans une ville éloignée de la capitale politique, qui, selon le moment et l’époque, pouvait être Fès, Marrakech, Meknès, voire Rabat. Etait-ce pour les éloigner de la Cour du sultan et décourager leurs démarches, qui étaient fréquentes ? Il est vrai qu’une réclamation qui était d'abord soigneusement étudiée et commentée par le Naïb avant d'être envoyée au sultan, qui la recevait après quatre à cinq jours ( le temps moyen que mettaient les raqqas (courriers) pour parcourir à pied la distance de Tanger à Fès), perdait beaucoup de son acuité. Plusieurs diplomates déploraient de n’avoir pas de contact direct avec la Cour du sultan. A leurs yeux, le Naïb n’avait aucun pouvoir de décision et Dar Niyaba n’avait d’autre but que de temporiser. On a pu aussi dire qu’à Tanger, les diplomates étaient relativement plus en sécurité qu’à l’intérieur du pays, où les étrangers étaient exposés aux agressions. Il y a probablement une part de vérité dans les deux théories, mais il est certain que le choix de la ville du Détroit s’expliquait à la fois par sa proximité géographique à l’Europe, par la disponibilité de certaines commodités et par le caractère cosmopolite de sa population, habituée plus qu’ailleurs au Maroc à frayer avec les « chrétiens », notamment les Espagnols et, dans une moindre mesure, les Britanniques de Gibraltar.
C’est ainsi que Tanger fut érigée en « capitale diplomatique » du Maroc, distincte des capitales politiques traditionnelles, une situation exceptionnelle peu fréquente (2), prélude au statut spécial qui sera attribué à la ville plus tard. Il y manquait un ministère des affaires étrangères, qui n’existait pas dans le gouvernement marocain jusqu’à la fin du XIXème siècle ; Dar Niyaba en tint lieu. Quelques auteurs donnèrent au Naïb, à tort, le titre de ministre des affaires étrangères.
Des légations s’installèrent à proximité de Dar Niyaba : Angleterre, Suède, Espagne, Portugal, France, Italie, et plus tard Etats-Unis, Allemagne…
Le premier ministre des affaires étrangères dans l’histoire du Maroc, Mohamed M’Feddal Gharrit, fut nommé par Moulay Hassan en 1885 et prit le titre de « Ouazir el Omor el Barraniya ». Néanmoins Dar Niyaba non seulement subsista, mais son personnel s’étoffa et se spécialisa progressivement, en particulier après la réforme qui fut décidée par le sultan Moulay Abdelaziz en 1900, pour faire face à la multiplication et à la complexité des questions diplomatiques. Les diplomates marocains s’acquittèrent de leur mission dans des conditions difficiles, le plus souvent en subissant des évènements sur lesquels ils n’avaient aucune prise. Assailli par les ministres étrangers, qui le submergeaient de réclamations de tous ordres, le Naïb se débattait avec les problèmes, parfois inextricables, causés par le système de la protection. El Khatib fut confronté à la guerre de Tétouan, Bargache représenta le Maroc à la conférence de Madrid (1888) sur la protection, et Torrès présida la délégation marocaine à la conférence d’Algésiras, en 1906.
Le protectorat français mit fin à l’institution de Dar Niyaba.
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(1) à ne pas confondre avec le Mendoub, qui officiait à la Mendoubiya, et qui était également délégué du sultan, mais auprès des puissances administrantes de Tanger, à l’époque où la ville avait un statut international (de 1923 à 1957, avec une interruption entre 1940 et 1945).
(2) Auparavant, seule la Chine avait une capitale diplomatique, Shanghai, tandis que Pékin était la capitale politique. Au XXème siècle, la capitale diplomatique de l’Arabie Saoudite, jusqu’en 1982, sera Djeddah, Ryad étant la capitale politique).
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