Des échanges anciens
6 avril 2019
Le 12 février 1888, Mohamed Torrès,
Naïb Essoltane (Délégué du sultan), embarquait à Tanger à bord d’un bateau de
guerre espagnol pour se rendre à Rome. Le Naïb était chargé par le sultan
Moulay Hassan de féliciter le Pape Léon XIII (1878-1903) à l’occasion de son
jubilé sacerdotal. Deux religieux espagnols l’accompagnaient. Parmi les
dirigeants musulmans, le chah de Perse, le khédive d’Egypte et le sultan
ottoman furent également représentés.
La nouvelle se répandit rapidement au Maroc et suscita des interrogations. Pourquoi, se demanda-t-on, un tel hommage du Commandeur des Croyants au chef de l’Eglise catholique ? Lors de l’audience solennelle que Léon XIII accorda le 25 février 1888 à l’ambassade marocaine, Torrès prononça en arabe un discours dans lequel il émit l’espoir que « l’amitié ne cessera jamais d’exister et qu’elle persévérera toujours sans altération » entre Sa Majesté chérifienne et le souverain pontife. Dans sa réponse, en italien, le Pape rappela que « les échanges d’ambassades et de déclarations d’amitié … entre les Pontifes Romains et les Souverains de l’Afrique » étaient anciens.
La nouvelle se répandit rapidement au Maroc et suscita des interrogations. Pourquoi, se demanda-t-on, un tel hommage du Commandeur des Croyants au chef de l’Eglise catholique ? Lors de l’audience solennelle que Léon XIII accorda le 25 février 1888 à l’ambassade marocaine, Torrès prononça en arabe un discours dans lequel il émit l’espoir que « l’amitié ne cessera jamais d’exister et qu’elle persévérera toujours sans altération » entre Sa Majesté chérifienne et le souverain pontife. Dans sa réponse, en italien, le Pape rappela que « les échanges d’ambassades et de déclarations d’amitié … entre les Pontifes Romains et les Souverains de l’Afrique » étaient anciens.
Si, au Maroc, la mission de Torrès au
Vatican ne fut pas très favorablement accueillie, il en alla autrement à
l’étranger, où l’initiative marocaine souleva un grand enthousiasme. En
Espagne, notamment, la presse salua l’événement et ne tarit pas d’éloges pour
ce geste inédit.
Les chancelleries ne manquèrent pas de spéculer sur le véritable but derrière l’envoi d’une ambassade au Vatican. Les agents français étaient persuadés que l’Espagne avait voulu affirmer son influence au Maroc, où elle était le seul pays à entretenir des missions catholiques.
En définitive, l’ambassade de Torrès n’eut pas de portée politique significative, mais elle constitua une initiative audacieuse du sultan qui montra son ouverture d’esprit en matière religieuse dans un contexte de conservatisme et de méfiance populaire traditionnelle vis-à-vis des chrétiens. La mission, d’autre part, fut la première rencontre directe entre un représentant du sultan et un pape, alors que jusqu’alors, les relations s’étaient limitées à des échanges de lettres concernant les captifs chrétiens.
Les chancelleries ne manquèrent pas de spéculer sur le véritable but derrière l’envoi d’une ambassade au Vatican. Les agents français étaient persuadés que l’Espagne avait voulu affirmer son influence au Maroc, où elle était le seul pays à entretenir des missions catholiques.
En définitive, l’ambassade de Torrès n’eut pas de portée politique significative, mais elle constitua une initiative audacieuse du sultan qui montra son ouverture d’esprit en matière religieuse dans un contexte de conservatisme et de méfiance populaire traditionnelle vis-à-vis des chrétiens. La mission, d’autre part, fut la première rencontre directe entre un représentant du sultan et un pape, alors que jusqu’alors, les relations s’étaient limitées à des échanges de lettres concernant les captifs chrétiens.
Il faudra attendre 92 ans pour qu’un
roi du Maroc et un pape se rencontrent. Ce fut en 1980, lorsque Feu Hassan II
se rendit au Vatican, où il fut reçu par Jean-Paul II. Cinq ans plus tard, le
Maroc recevait en grande pompe le souverain pontife.
34 ans plus tard, le pape François
s’est rendu au Maroc, après avoir visité plusieurs pays musulmans ou dont la
population est majoritairement musulmane, comme l’Egypte, l’Azerbaïdjan, le
Bangladesh, la Turquie et, en février dernier, les Emirats Arabes Unis.
Les « non » de l’Eglise
Les « non » de l’Eglise
A Abou Dhabi comme à Rabat, la pluie
était au rendez-vous. « Dans ces pays, ceci est perçu comme un signe de
bénédiction », a dit le pape. Il a signé avec l’imam d’Al-Azhar un document «
pour la paix mondiale et la coexistence commune ». Ce document appelle au
renforcement du dialogue interreligieux et à la promotion du respect
réciproque. Le texte condamne toutes les atteintes à la vie, dont, en premier
lieu les actes terroristes, mais également l’avortement et l’euthanasie.
L’Eglise catholique reste ainsi fidèle
à ses dogmes et à ses «non» : outre son refus de l’avortement et de
l’euthanasie, le Saint-Siège s’oppose au mariage des prêtres, à l’ordination
des femmes, au divorce et à l’homosexualité. Au chapitre des droits de l’homme,
l’Eglise défend trois libertés fondamentales qui sont affirmées par la
Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) : « toute personne a droit
à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la
liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public
qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement
des rites » (Article 18).
La « liberté de pensée, de conscience et de religion » défendue par l’Eglise ne se limite pas à la seule liberté de culte mais « doit permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse », dans le respect mutuel et la dignité.
La « liberté de pensée, de conscience et de religion » défendue par l’Eglise ne se limite pas à la seule liberté de culte mais « doit permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse », dans le respect mutuel et la dignité.
Dialogue, pas tolérance
Au Maroc, François et le roi Mohammed
VI ont signé un «Appel d’Al Qods».
Anticipant les préoccupations du pape, le roi a dit : « Le dialogue tourné vers la “tolérance” aura fait long feu, sans pour autant atteindre sa finalité. Les trois religions abrahamiques n’existent pas pour se tolérer, par résignation fataliste ou acceptance altière. Elles existent pour s’ouvrir l’une à l’autre et pour se connaitre ».
Anticipant les préoccupations du pape, le roi a dit : « Le dialogue tourné vers la “tolérance” aura fait long feu, sans pour autant atteindre sa finalité. Les trois religions abrahamiques n’existent pas pour se tolérer, par résignation fataliste ou acceptance altière. Elles existent pour s’ouvrir l’une à l’autre et pour se connaitre ».
L’Eglise catholique préfère parler de
dialogue plutôt que de «tolérance», mot qui a été employé à l’envi dans
plusieurs déclarations et reportages et qui a le don de hérisser les
dignitaires du Vatican. Ce concept implique, selon eux, une relation inégale
entre les « croyants » (musulmans) et les autres, mettant ces derniers en
situation d’infériorité. De là l’appel à renoncer à l’usage du terme «
minorités », qui «prépare le terrain» aux mesures discriminatoires, voire aux
agressions. C’est ce qui a été souligné dans la déclaration d’Abou Dhabi et
c’est ce que François a rappelé dans son discours à Rabat en affirmant que la
Conférence internationale sur les droits des minorités religieuses dans le
monde islamique, qui a eu lieu à Marrakech en janvier 2016, a souligné « la
nécessité de dépasser le concept de minorité religieuse, au profit de celui de
citoyenneté et de la reconnaissance de la valeur de la personne, qui doit
revêtir un caractère central dans tout ordonnancement juridique.
Dans cet esprit, il nous faut toujours passer de la simple tolérance au respect et à l’estime d’autrui. »
Dans cet esprit, il nous faut toujours passer de la simple tolérance au respect et à l’estime d’autrui. »
Remarquons cependant que 2019 a été
décrétée «année de la tolérance» aux Emirats où existe, depuis 2016, un
«ministre d’Etat à la tolérance». La création d’un « institut international de
la tolérance » serait projetée et un prix annuel serait envisagé.
La visite de François au Maroc a eu un
retentissement international majeur. C’est un nouveau jalon dans le
renforcement des relations séculaires entre le Maroc et le Saint-Siège. Le but
premier du pape en se rendant au Maroc n’était pas de « redorer l’image de
l’Eglise », comme certains ont pu l’avancer, ni de rencontrer les immigrés
subsahariens chrétiens. Il s’agissait de visiter le pays musulman le plus
modéré et le plus stable de la région. Le choix ne s’est pas porté par hasard sur
le Maroc, pays qui, en outre, est dirigé par Amir al Mouminine. Quand le
Saint-Siège veut envoyer des messages, il sait y faire.
Comme en 1888, des voix n’ont pas
manqué pour s’élever contre la visite papale. Elles ont été isolées et
inaudibles.
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